Le : 18/12/2008 00:24
NOËL A BAB EL OUED, C'ETAIT HIER...
Souvenons-nous de ces moments d'enfance impérissables:
Les galoches déposées soigneusement devant le sapin tout illuminé de mille feux éclatants avec des bougies en équilibre sur l'extrémité des branches ployant sous la neige, l'âtre de la cheminée chargé de bûches de bois posées sur un lit de braises rougies qui réchauffait le coeur des admirateurs en herbe, des paquets cadeaux multicolores cerclés de ruban rose destinés à toute la famille, la neige couvrant de son blanc manteau les toitures des maisons et les arbres endormis comme une chantilly décorant un gâteau, le Père Noël tout de rouge vêtu avec une longue barbe blanche, arrivant de nulle part dans un traîneau rempli de présents et tiré par quatre rennes toujours souriants, des enfants les yeux écarquillés découvrant les jouets tant désirés, à faire rêver les enfants du monde entier: c'était ce que l'on découvrait avec exaltation chaque année à Bab el Oued dans la classe de Madame Winckler, notre institutrice du cours préparatoire de l'école Lelièvre, lorsqu'elle affichait au tableau noir la gravure de décembre relative à la leçon de vocabulaire. On demandait à la maîtresse où pouvait avoir lieu cette scène décrite au tableau, et elle nous répondait: "c'est le Nord, là où il y a des montagnes!"; alors , on avait encore plus de mal à comprendre car nous aussi on vivait dans le Nord de l'Afrique, et à Bab el Oued, nos "montagnes" s'appelaient la Bouzaréa, Sidi Benour et Notre Dame d'Afrique. Chez nous, Noël se passait au balcon, même si tous les deux ou trois ans, une averse de grêle brutale blanchissait le quartier pour quelques heures et nous faisait découvrir à la récréation dans la cour de l'école, ces maudites engelures. Comme à l'accoutumée, l'hiver à Bab el Oued demeurait le cancre de la classe des saisons. C'est donc dans un ciel constellé d'étoiles scintillantes que l'on imaginait la plus belle des crèches bibliques; le chariot de la Grande Ourse nous donnait l'impression, après en avoir découvert l'existence au cours d'une leçon de géographie, qu'il allait nous livrer des surprises dans cette nuit magique chargée de mystère pour tous les enfants.
La hotte de nos parents n'était jamais en surcharge dans la douceur de cette nuit algéroise qui brillait comme en été. On rangeait notre paire de "tchanglès" au pied du lit et on restait éveillé toute la nuit à l'insu de nos parents jusqu'au tintamarre qui avait lieu vers les six heures du matin lorsque le jouet était déposé à proximité. C'est les yeux pleins de "lagagne" que l'on découvrait hébété et souriant de fatigue la surprise que l'on nous avait réservé. On n'en était pas encore à choisir sur catalogue le seul et unique jouet qui nous était destiné. Cela ne nous empêchait pas d'être tout excité à l'idée de montrer tout à l'heure au copain dans la rue l'objet qui allait nous amuser quelques heures jusqu'à ce qu'il ait rendu l'âme.
A Bab el Oued, dans les années d'après guerre, les enfants étaient experts pour jouer sans jouet et créer un monde merveilleux. On était des créateurs de rêve utilisant génération après génération, l'art du rien; c'est avec des riens que l'on passait de mémorables journées de jeu avec les camarades "en bas" la rue. Tout était récupération: des bouts de bois, des roseaux coupés aux carrières Jaubert, du papier journal, de la ficelle, des chiffons, de la terre glaise, des noyaux d'abricots, des boites d'allumettes, des roulements à billes; c'étaient nos matières premières et l'imagination collective faisait le reste.
C'était vraiment hier, il y a soixante ans...