Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Keyword - soubressade

Fil des billets - Fil des commentaires

André TRIVES

Le : 23/05/2010 23:50

BAB EL OUEDIENS A LA VIE A LA MORT

Je ne me lasserai jamais de voir, après tant d'année, ce qu'est devenu le visage d'un copain d'école. L'observation se présente comme une enquête policière où vous devez trouver les indices qui dévoileront les traits de l'enfance. Méthodiquement votre recherche commence par éliminer les rides coupables de la transformation. Et les atteintes sont nombreuses. Mais c'est grâce au regard et à la pupille des yeux que vous démasquerez bien vite l'identité du suspect.

En ce jour de Pentecôte, j'ai mené de multiples enquêtes tout au long de la journée sous les platanes centenaires du Grand Saint-Jean à Aix en Provence et toutes ont été menées à bien avec l'organisation parfaite de l'ABEO qui pourrait, par son savoir-faire, entrer dans les Entreprises du 4/40.

L'ambiance était fidèle à son habitude, tous les enfants de Bab el Oued avait apporté avec eux leur verve habituelle; et l'on sait très bien qu'un Pied-Noir silencieux est un Pied-Noir occupé à manger.

Un soleil lumineux avait exaucé les prières à YHAVE, ALLAH et JESUS des organisateurs. En cas de pluie qu'aurait-on pu faire des victuailles qui achalandaient les stands? Des centaines de makrouds, de zalabias,de cornes de gazelle, tramous et poichiches au koumoun, soubressade, boutifar et cocas à la frita, le tout arrosé du breuvage des Seigneurs alcolos: l'anisette. Comme un nuage de sauterelles venu du Sahara, les Bab el Ouediens se sont rués sur les assiettes, tout a été avalé, les tables sont restées vides.

Nous nous sommes dit aurevoir et à l'année prochaine en précisant bien:" Si Dieu le veut", et si les rides ne viennent pas à nouveau compliquer nos enquêtes de reconnaissance.

Nous nous sommes jurés A LA VIE A LA MORT de revenir l'an prochain pour garder cette belle chaîne de fraternité entre tous les enfants de Bab el Oued.

Arlette LEHR

Le : 11/12/2008 19:46

Bonjour à vous tous,

Je suis en train de lire vos messages et je me retrouve dans mon quartier. En effet, les cars Cabrera étaient stationnés en bas de la rue Pierre Leroux devant la Goutte de Lait. Le centre Villeneuve qui était très grand se situait en haut de la côte et se terminait à côté de la Goutte de Lait. En face, avenue de la Bouzaréah se trouvait une épicerie tenue par, si ma mémoire est bonne Mlle Emma, il me semble qu'elles étaient 2 soeurs. Tout près de cette épicerie il y avait la boulangerie de Mr Clapès où nous allions cuire nos grandes plaques de cocas, il mettait à notre disposition le plan de travail où nous pouvions terminer de mettre en boules les monas avant de les cuire. Nous étions plusieurs à le faire je me demande comment les monas retrouvaient "leurs propriétaires". A côté se trouvait le moutchou qui vendait tout ce que l'on pouvait rechercher. Ensuite en face il y avait la charcuterie Giner qui nous aiguisait l'appétit tant son laboratoire sentait la soubressade et les boudins à l'oignon. Au moment des fêtes il y avait une grosse mallorquine qui était mise en tombola. A côté de cette charcuterie il y avait le café de la Butte. Que de souvenirs inoubliables, cela fait du bien de se les rappeler. Maintenant nous ne pourrions plus retrouver ces souvenirs car suite aux inondations Bab el Oued a changé. Continuons à nous remémorer tous ces merveilleux moments passés dans notre petite capitale d'Alger qu'était Bab el Oued.

Pierre-Emile BISBAL

Le repas à la plage.

Aujourd’hui, réveil de bon matin car nous allons manger à la plage. Dans le couloir, alignés contre le mur, patientent déjà le sac des affaires de bain, le parasol, le siège pliant de mémé. Il ne manque que le « cabacette » du casse-croûte. Il sera bientôt prêt, grand-mère termine de le remplir. Maman a passé une belle robe pleine de couleurs. Papa en short, achève de se raser et part chercher notre Dauphine au garage.

On s’en va. Je tiens ma bouée à la main. C’est une chambre à air de roue de Vespa. Pour l’enfiler, il faut que je dresse mes bras bien serrés en l’air et que je la fasse glisser le long du corps en me contorsionnant un peu. Ce n’est pas simple, mais efficace car je ne crains pas de passer au travers. Le coffre de la voiture absorbe tout notre matériel. Nous voilà sur la route de la Trappe après avoir fait un court détour par la rue Marquis de Montcalm où des amis nous attendent à côté de leur voiture. Tout le long du trajet mes parents chantent. Attention ils ne se contentent pas d’entendre un air à la radio ou sur un disque puis de le répéter. Non, eux ils chantent dans une chorale. La chorale Jean-Claude. C’est pour moi une grande source de fierté. Leurs voix entourent ma vie d’une résonance rassurante. Chaque fois que la situation le permet, consciencieusement, ils peaufinent les morceaux qu’ils sont en train de travailler. Après quelques couplets et refrains nous sommes arrivés. On quitte la route goudronnée pour prendre le chemin qui conduit à la mer. Papa concentre toute son attention pour ne pas ensabler la voiture. On arrive prés des cabanons, construits face à la mer en suivant une grande courbe qui épouse la forme de la plage. Je suis impatient d’aller à l’eau, mais les adultes n’en finissent pas de se saluer. Rolande et Joseph, qui nous reçoivent, font les honneurs des lieux, forcément, ça rajoute à l’attente. Enfin, nous allons nous baigner. C’est le calme plat. Des vagues amicales déposent régulièrement un petit liseré d’écume en lisière de plage. Le temps se fait oublier. La chaleur, la lumière, le paysage, la proximité et la disponibilité de multiples moments de joies simples se liguent pour anesthésier nos sens. Plus tard, quand nous serons privés de cette vie, nos souvenirs, comptables incorruptibles, dresseront le bilan de nos bonheurs perdus et nous souffrirons de ne pas les avoir évaluer à leurs justes valeurs. Pour l’instant, tout est la, rien ne manque à notre farouche volonté d’être heureux. Le rire d’un ami. La chaleur du sable. Le geste d’un enfant. Le poisson péché. La vague léchant le corps. Le bruit du gravier sous le ressac. L’eau fraîche bue à la régalade. Les jeux cent fois ré-inventés. L’ombre apaisante d’une touffe de roseaux. Le baiser salé d’une mère. La vue d’une voile au loin. La marche lente et précautionneuse sur les rochers. Le cri aigu et faussement courroucé de l’éclaboussé. Les épaules du père en guise de plongeoir. Un filet de brise comme une caresse à travers la chaleur. La photo où tous se regroupent. L’aïeul, la main posée en visière au-dessus d’un regard usé.

Midi survient, les ombres ont disparu. Un soleil excessif et un appétit aiguisé nous font battre en retraite et vident la plage. Sous la claie en roseau de la véranda du cabanon, la table aligne les victuailles. Bien sur, chacune des familles présentes jure ses grands dieux qu’elle n’a presque rien apporté. Pourtant des cocas obèses voisinent avec les sardines en escabèche. Il faut faire de la place pour l’énorme assiette de poivrons grillés. Les pâtés à la soubressade partagent leur espace vital avec un demi boutifar. Un énorme saladier où cohabitent tomates, petits oignons, anchois et œufs durs soutient l’incontournable plat où les crevettes roses dessinent une rosace. Des mantécao, leurs crânes brunis de cannelle se préparent pour le dessert. Le vin de la Trappe réjouit les adultes, pour nous, les gosses c’est du Selecto. Un désordre joyeux règle le repas. Les plats et les assiettes passent de main en main. Les compliments aux cuisinières se font la bouche pleine, comme une preuve de sincérité. Les conversations se télescopent. Une anecdote en entraîne une autre. Les souvenirs s’extirpent des mémoires. Les désirs, les craintes et les projets fanfaronnent en défiant l’avenir. Les rires, les exclamations, les mimiques, les « tape-cinq » brodent une guirlande qui encercle et enjolive le tout.

Le repas terminé, la table nette à nouveau, le calme occupe le terrain. Ceux qui ne dorment pas, accoudés à la table, parlent à voix basse une tasse de café à la main. Les chaises longues et les pliants se font accueillant pour les autres. Au-dessus de la tête des dormeurs, l’ombre offerte par les canisses favorise cette parenthèse apaisante. La véranda s’improvise sanctuaire. Ce presque silence agit comme un baume qui s’impose en contrepartie nécessaire aux tumultes du repas.

La digestion achevée, nous retournons sur la plage renouveler nos plaisirs du matin. Puis, le soleil décline. Il faut partir et c’est l’instant des derniers saluts, des ultimes embrassades. Je tape bien mes pieds avant de rentrer dans la voiture pour ne pas y mettre du sable.

La communion païenne du plaisir de la plage s’achève une nouvelle fois. Nous venons de déposer nos offrandes sur l’autel du bonheur. Notre culte à la vie a certainement offensé d’autres Dieux rancuniers à qui nous le payerons plus tard.

Pierre-Emile BISBAL

L’apéritif

On revient de la plage. Mon père a « fait des d’oursins ». Pour les ramener, nous les avons mis dans le sac des affaires de plage. Un grand sac à rayures orange et blanche que ma mère a confectionné. On a vidé le sac sur la table de la cuisine. Les épines sombres et violacées s’agitent encore. Ma grand-mère décrète que l’on va manquer de pain pour tous ces oursins et mon oncle se propose d’aller en chercher. –« Je viens avec toi tonton ». Le temps de sauter dans mes mévas et je le rattrape dans la cage d’escalier. Dans la rue il fait encore chaud car la brise de mer qui se lève ne s’est pas encore faufilée dans l’avenue de la Bouzaréah. La boulangerie allait fermer, mais il reste un pain que je porte comme un trophée en traversant la rue. Sur le trottoir mon oncle pose sa main sur ma tête et déclare :- « Viens, je te paye l’apéritif ». Il me tire par l’épaule et je me retrouve dans le café. C’est ma première fois. On se dirige vers le comptoir. Mon oncle me soulève pour que je puisse m’asseoir sur un grand tabouret à l’angle du bar. Tonton prend une anisette et, pour moi, le serveur dose un sirop d’orgeat dans un verre identique à celui de mon oncle. C’est comme si on buvait pareil. Puis une dame sortie de derrière un rideau fait avec des perles de bois de toutes les couleurs installe des petits ramequins pleins de kémia. Des olives vertes et noires, des carottes à la juive, des cacahouètes grillées avec leur petite peau fine et brunâtre, des variantes gorgées de vinaigre, des poivrons au four et de la soubressade. La dame revient et pose devant moi un petit charlot en céramique qui tire son chapeau et sa tête est pleine de cures-dents en bois. Mon oncle discute avec Gaby, un de ses copains car il a besoin d’une pièce en cuivre pour son petit voilier. C’est bien l’apéritif au café. On déguste les mêmes choses qu’a la maison mais personne ne vous dit :

« Mâche bien les olives ! » « Attention de ne pas avaler le noyau ! » « Ne prend pas les carottes dans ce plat, c’est les piquantes ! » « Tu t’es gavé de cacahouètes, tu vas rien mangé ce soir ! » « Tu arrêtes avec les variantes, c’est plein de vinaigre tu vas être malade ! » « Mange pas la peau de la soubressade ! ».

Tout en puisant alternativement dans chaque plat je me délecte du spectacle. Tout le monde fume, ou presque et ça fait un reflet bleuté qui s’étire entre le sol et le plafond. Dans le fond du bistrot se joue une partie de baby-foot serrée. Les joueurs sont cassés en deux au-dessus des barres qui portent les figurines de bois. Ils se redressent brusquement quand ils ont tiré ou bien bloqué un but ou une passe. C’est la fin. Au geste rageur et dégoûté que fait l’un d’eux pour repousser les boules rouges qui marquent le score on comprend qui vient de perdre. Le groupe se retrouvent au bar et commande une nouvelle tournée. Les gagnants chahutent les perdants qui invoquent une déveine implacable. La place au baby ne reste disponible que quelques secondes. Claquement sec de la tirette. Chute des boules. Un s’essuie les mains sur son pantalon, l’autre enlève ses lunettes et les glisse dans sa poche de chemise. Un nouvel affrontement peut avoir lieu.

Tous ces hommes parlent haut et fort. Les mains et les bras s’agitent pour mieux souligner la discussion. Parfois, au dessus de cet océan de bruit, surgit une vague plus forte que les autres. C’est un grand éclat de rire à la fin d’une histoire ou un surnom crié pour saluer l’entrée d’un habitué.

Mon oncle me redescend de mon tabouret. -« Allez, on file, sinon on va ce faire incendier ». Dommage il reste encore plein de kémia dans les raviers. On grimpe les escaliers en courant. Arrivée devant la porte de l’appartement mon oncle trace un « X » sur sa bouche avec son index, ça veut dire ne rien raconter de notre escapade au bistrot. On scelle notre pacte de silence par un « tape cinq ». On sonne. Mémé vient ouvrir. Tonton dit qu’il a fallu « aller à Dache » pour trouver du pain à cette heure. J’ai bien vu que ma grand-mère Ascencion ne l’avait pas cru. C'est normal car c'est sa mère, moi aussi je n’arrive pas à mentir à ma mère.