de Michel Such; Merci! Merci à tous pour les marques de sympathie que vous avez témoignée à ma mère pour ces 83 ans. Je viens de lui poster les copies de vos messages et je ne vous dis pas le temps passé au téléphone avec elles ces prochains jours pour l'écouter me "raconter" BEO.
Casser l'roseau
Avec mes oncles Victor et Nino, au début du printemps, on partait à la Carra Moussa. L'opinel de Nino, tranchait comme un rasoir (je n'avais pas le droit d'y toucher). Au bas d'un petit ravin, mes oncles choisissaient les roseaux, longs, souples et bien droits. Deux bonnes cannes solides et légères pour "les hommes" et une plus petite pour l'enfant que j'étais alors. Il fallait éplucher les roseaux et les faire sécher. Mes oncles en profitaient pour tailler quelques roseaux pour les cerfs-volants que nous allions faire voler "aux blocs". Le vent aidant et la pelote de fil toujours trop courte, nous finissions toujours par leur laisser leur liberté. Mes oncles disaient qu'ils partaient pour la France... C'est pourquoi, sur le bateau qui nous amenait en France, en 1962, j'arrachais un sourire à mon oncle Victor..." Tu vois tonton, c'est nous maintenant les cerfs-volants." Quand nous étions à tailler les roseaux, nous faisions aussi une grande provision de feuilles. Ma grand-mère, en les tressant, confectionnait des sortes de bouchons qui empêchaient les tomates vertes, les poivrons, les gros cornichons noyés dans la saumure, de remonter à la surface de ces grosses jattes en terre cuite. " Tu vois mon fils, elles restent dans le jus et elles respirent." Au temps des congés, les trois cannes avaient eu le temps de sécher. Mes oncles préparaient les lignes, noircissaient des bouchons de liège, montaient des mitraillettes pour la dorade qu'ils pêchaient au pain sur l'eau. Ces séances duraient des soirées entières à fanfaronner sur les kilos d'oublades, de tielbas et de sarres qu'ils avaient pris l'an passé. Moi qui étais toujours présent à leurs parties de pêches, " je gardais le linge", je savais bien qu'ils en rajoutaient un peu et quand le regard de l'un de mes oncles venait croiser le mien "Dis leur toi que c'est vrai". Il me fallait mentir. À confesse, l'abbé Castéra ronflait toujours un peu après le déjeuner. Je sifflais quelques notes de "L'internationale". Les ronflements se faisaient plus fort et je sortais du confessionnal en claquant la porte. Il fallait bien attendre trois secondes pour l'entendre marmonner "Au suivant!" et aussitôt après " Michel viens ici!" Je revenais craintif. Il me prenait par l'oreille." Si la pêche est bonne demain, dis à Angèle de pas trop forcer sur le piment de l'escabèche, ça me fait manger trop de pain. Dans la sacristie, y'a trois assiettes à ta grand-mère. Je n'ai pas fait la vaisselle. Tu les laveras, c'est ta pénitence. Avec deux Notre Père, tu ne t'en sors pas trop mal... Allez file!" Avec les parties de pêche, les baignades, les soirées sous l'eucalyptus, où ma grand-mère nous racontait mi en français, mi en arabe, mi en maltais et parfois même mi en espagnol des histoires qu'elle disait tenir de sa mère mais qu'elle improvisait avec un talent que je lui envie encore, les jours d'été et de congés passaient si vite... Après le 15 août, on démontait les lignes de nos roseaux. Bientôt, les sirènes d'usine allaient reprendre. Alors, puisque l'on savait que l'année d'après on retournerait à la Carra Moussa... Mes oncles cassaient les roseaux. On s'en servait pour allumer un canoun et faire griller des brochettes de toutes sortes d'oiseaux que mon oncle Antonio piégeait dans ses filets sur les hauteurs de Notre Dame d'Afrique. Les congés payés se terminaient, on avait cassé les roseaux. On s'en était payé du bon temps...