Les souvenirs sont un bien très précieux. Chacun a les siens mais les nôtres, à nous PN, se ressemblent et je voudrais vous faire partager les miens que mon épouse (l'Alsacienne) a mis en vers pour ma plus grande émotion. Ce poème, un peu long, déjà paru dans le journal de l'ABEO, prend de la place et je voudrais m'en excuser.
Amicalement à vous tous. Guy
Bab-el-Oued
Quand revient l'été et que le soleil
Caresse les roses, mûrit les groseilles
Je suis nostalgique et rêve de là- bas
Du pays perdu qui fut mon chez-moi.
Dans l'air immobile flottent mille senteurs
Des odeurs de miel, de menthe et de fleurs
Et je me revois dans la rue Mizon
Jouer aux soldats ou bien au ballon.
Avec mes copains, P'tit Jean et P'tit Pierre
José et Marco, Michel et Norbert
Nous faisions bien sûr les quatre-cents coups
Nous étions heureux et nous étions fous.
Et je crois sentir l'odeur des beignets
Que le brave Blanchette des fois nous donnait
Nous crachions noyaux, riant et criant
Des bonnes grosses olives du vieux père Hazan.
Ô mon doux quartier, mon cher Bab-el-Oued
Où se côtoyaient Maurice, Mohammed
Je me souviens de ton exubérance
Des années de bonheur de mon enfance.
Et j'entends encore le chant de ma mère
Qui de sa belle voix, si douce et si claire
Rendait un hommage à ce beau pays
Lui jurant, confiante, amour pour la vie.
Il y avait Louis, Roland, Raphaël
Mes tontons frimeurs un peu paternels
Qui au «Pénalty» tenu par Roger
Buvaient l'anisette en jouant aux dés.
Dans les poches profondes de son tablier
Ma vieille grand-mère ramenait du marché
Pour son petit fils et P'tit Jean aussi
Ki-kilomètres, loukoums et oublies.
La rue s'éveillait après la chaleur
Elle s'animait à partir de vingt heures
Le monde affluait à la Basseta
Et on chantait avenue Bouzaréah.
Je revois encore lorsque le jour baisse
Cette foule joyeuse, ces soirées de liesse
Et comme au vieux temps je les vois unis
Parents et amis à jamais partis
Oui, je me souviens de nos dix-huit ans
Nous draguions les filles près du Marignan
Nous étions leurs princes bien sûr en blue-jean
Les rois du quartier roulant en Dauphine.
Au ciné du coin dit le Majestic
Lorsque s'éteignaient les lampes électriques
Nous leur susurrions qu'elles étaient jolies
Et froissions leur jupe en coton vichy.
Aux Trois Horloges nous avions rendez-vous
Et leur carillon se moquait de nous
De notre impatience, de nos prises de tête
Allaient-elles venir, Renée et Francette ?
Dieu, qu'elles étaient belles, de jeunesse parées
En ballerines, un rien effarouchées
Aux surprises-parties ou aux bals du soir
Nous dansions sur les airs des Chaussettes Noires.
Enfants d'ouvriers ou de commerçants
Nous n'étions pas riches, nous étions vaillants
Et nous avions tous un seul voeu fervent
Passer notre vie ici, simplement.
J'ai la nostalgie du bord de la mer
De ses cabanons, celui de mon père
Du sable chaud de la plage de l'Eden
Et des Deux Chameaux, je les croyais miennes.
Les rochers Charlemagne et du Fauteuil
Quand nous sommes partis ont pris le grand deuil
Dans une brume épaisse ils se sont chachés
Afin de ne pas nous voir embarquer.
Ô mon Bab-el-Oued, ma Porte du Ruisseau
Nous t'avons fermée, en larmes, le coeur gros
Pourrai-je un jour encore te pousser
Dans le sens contraire, trouver mon passé ?
Des tendres années laissées sur ton seuil
Mon âme à jamais en porte le deuil
Mes rêves d'enfant comme d'adolescent
Sont restés là-bas, chassés par le vent.
Ô toi Bab-el-Oued, ma cité perdue
Serrés dans tes bras nous avons vécu
Heureux, insouciants, un peu comme des rois
Souviens-toi de nous, Pieds-Noirs,... quelquefois.