Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

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Guy SOLTANA

Les souvenirs sont un bien très précieux. Chacun a les siens mais les nôtres, à nous PN, se ressemblent et je voudrais vous faire partager les miens que mon épouse (l'Alsacienne) a mis en vers pour ma plus grande émotion. Ce poème, un peu long, déjà paru dans le journal de l'ABEO, prend de la place et je voudrais m'en excuser.

Amicalement à vous tous. Guy

Bab-el-Oued

Quand revient l'été et que le soleil

Caresse les roses, mûrit les groseilles

Je suis nostalgique et rêve de là- bas

Du pays perdu qui fut mon chez-moi.

Dans l'air immobile flottent mille senteurs

Des odeurs de miel, de menthe et de fleurs

Et je me revois dans la rue Mizon

Jouer aux soldats ou bien au ballon.

Avec mes copains, P'tit Jean et P'tit Pierre

José et Marco, Michel et Norbert

Nous faisions bien sûr les quatre-cents coups

Nous étions heureux et nous étions fous.

Et je crois sentir l'odeur des beignets

Que le brave Blanchette des fois nous donnait

Nous crachions noyaux, riant et criant

Des bonnes grosses olives du vieux père Hazan.

Ô mon doux quartier, mon cher Bab-el-Oued

Où se côtoyaient Maurice, Mohammed

Je me souviens de ton exubérance

Des années de bonheur de mon enfance.

Et j'entends encore le chant de ma mère

Qui de sa belle voix, si douce et si claire

Rendait un hommage à ce beau pays

Lui jurant, confiante, amour pour la vie.

Il y avait Louis, Roland, Raphaël

Mes tontons frimeurs un peu paternels

Qui au «Pénalty» tenu par Roger

Buvaient l'anisette en jouant aux dés.

Dans les poches profondes de son tablier

Ma vieille grand-mère ramenait du marché

Pour son petit fils et P'tit Jean aussi

Ki-kilomètres, loukoums et oublies.

La rue s'éveillait après la chaleur

Elle s'animait à partir de vingt heures

Le monde affluait à la Basseta

Et on chantait avenue Bouzaréah.

Je revois encore lorsque le jour baisse

Cette foule joyeuse, ces soirées de liesse

Et comme au vieux temps je les vois unis

Parents et amis à jamais partis

Oui, je me souviens de nos dix-huit ans

Nous draguions les filles près du Marignan

Nous étions leurs princes bien sûr en blue-jean

Les rois du quartier roulant en Dauphine.

Au ciné du coin dit le Majestic

Lorsque s'éteignaient les lampes électriques

Nous leur susurrions qu'elles étaient jolies

Et froissions leur jupe en coton vichy.

Aux Trois Horloges nous avions rendez-vous

Et leur carillon se moquait de nous

De notre impatience, de nos prises de tête

Allaient-elles venir, Renée et Francette ?

Dieu, qu'elles étaient belles, de jeunesse parées

En ballerines, un rien effarouchées

Aux surprises-parties ou aux bals du soir

Nous dansions sur les airs des Chaussettes Noires.

Enfants d'ouvriers ou de commerçants

Nous n'étions pas riches, nous étions vaillants

Et nous avions tous un seul voeu fervent

Passer notre vie ici, simplement.

J'ai la nostalgie du bord de la mer

De ses cabanons, celui de mon père

Du sable chaud de la plage de l'Eden

Et des Deux Chameaux, je les croyais miennes.

Les rochers Charlemagne et du Fauteuil

Quand nous sommes partis ont pris le grand deuil

Dans une brume épaisse ils se sont chachés

Afin de ne pas nous voir embarquer.

Ô mon Bab-el-Oued, ma Porte du Ruisseau

Nous t'avons fermée, en larmes, le coeur gros

Pourrai-je un jour encore te pousser

Dans le sens contraire, trouver mon passé ?

Des tendres années laissées sur ton seuil

Mon âme à jamais en porte le deuil

Mes rêves d'enfant comme d'adolescent

Sont restés là-bas, chassés par le vent.

Ô toi Bab-el-Oued, ma cité perdue

Serrés dans tes bras nous avons vécu

Heureux, insouciants, un peu comme des rois

Souviens-toi de nous, Pieds-Noirs,... quelquefois.

Antoine BILLOTTA

Et pour tout le monde, cette histoire vécue. On sait que les Messageries étaient en majorité habitées par des Italiens et en grand nombre par des pêcheurs aux revenus plus que modestes...quand ils en avaient. En effet, il n'était pas rare qu'ils ne partaient pas toujours en mer soit parce qu'on ne les embauchait pas forcément soit parce qu'il y avait mauvais temps soit parce que la pêche avait été trop abondante ou au contraire maigre soit parce que la paye, c'était le patron qui en décidait du montant au jour le jour. Mais il y avait toujours la part du pêcheur ce qui nous permettait de manger quand même du....poisson. C'est ainsi que parfois, papa nous ramenait des casiers entiers de sardines sans valeur possible du fait de leur surabondance; on les donnait alors à la cantine de notre Ecole Sigwalt, rue de Dijon, ce qui était un véritable don du ciel et faisait le bonheur des demi-pensionnaires.....D'autres fois, il ramenait de gros poissons, daurades, rougets, rascasses etc... mais nous ne les mangions pas toujours. C'est ainsi qu'un jeudi après-midi me semble-t-il puisque nous n'avions pas classe et pendant que mon père, ce héros, dormait épuisé par ses nuits harassantes, j'avais eu pour mission d'aller vendre cette marchandise ô combien précieuse, à la sauvette, aux côtés de vieux habitués tous vêtus de bleu de chauffe bien entendu. Nous occupions statégiquement le trottoir de chez Blanchette pour avoir une vue la plus large possible sur la rue de Châteaudun, rue de l'Alma, boulevard de Provence etc...Le soleil était chaud, les rues venaient d'être nettoyées et nos couffins remplis de poissons frais et appétissants s'offraient aux regards connaisseurs des passants tandis que je me sentais tout fier et quand même un peu anxieux du haut de mes huit ans......Et puis un cri: 22! v'là les flics ! ! ! Terrorisé, voulant m'enfuir mais avec mon couffin, la sueur de papa et notre gagne-pain, c'est avec une immense reconnaissance que je l'abandonnai entre les mains d'un pêcheur-"magicien" qui, en un seul mot me rassura, le fit disparaître (dans une entrée de maison prévue pour ça?) et me permit de prendre la poudre d'escampette,en espadrilles et suivi, je crois, de mon petit frère encore plus "mort" que moi. Je ne sais pas jusqu'où je suis allé...mais quand je suis revenu récupérer mes poissons ....:" Tiens, p'tit" me dit le pêcheur-"magicien" et il me tendit un billet et des pièces. Il avait tout vendu, à un bon prix et mon couffin était vide ! Je l'ai remercié, pris et serré très fort les sous dans ma main et pour ne pas les perdre, j'ai mis la main droite dans la poche, l'autre balançant joyeusement le couffin...J'ai encore couru, monté les quatre étages à toute vitesse, ouvert mes doigts crispés sur la table, heureux de rapporter des sous, moi aussi, comme papa. L'aventure s'est arrêtée là: maman a eu une telle peur rétroactive que, les autres poissons ramenés, on a continué à les donner ou à les manger.....Cette histoire a eu lieu dans les années 50 à Babeloued......

Pierre-Emile BISBAL

Le beignet arabe.

Blanchette, d’un geste mesuré, cueille une poignée de pâte blanche, presque laiteuse dans une grande bassine à coté de lui. C’est un magicien et un jongleur à qui la matière obéit. En quelques secondes, ses doigts habiles qui s’agitent par saccades régulières, viennent de transformer la boule en un disque de la largeur d’une main. Comme pour tous les gestes répétés mille fois la difficulté semble absente, mais ne vous y trompez pas, l’exercice est complexe. Devant lui, dans un large récipient circulaire, l’huile bout. Le disque de pâte est projeté dans la friture par un mouvement sec et précis. Au contact du liquide brûlant, se produit un chuintement et un petit brouillard odorant monte du beignet. A cet instant vous commencez à déguster votre beignet par les narines. Blanchette, avec une longue tige de fer imprime un mouvement circulaire au beignet pour bien répartir l’effet de la cuisson, puis dans le même geste, toujours avec sa pique, il le retourne pour frire l’autre coté. A cet instant ce sont vos yeux qui prennent le relais. Plongée dans le bain de friture la pâte a changé de couleur et de texture. Le bord du beignet s’est gonflé et distendu en un large bourrelet craquelé. Des bulles de pâte formées par la chaleur ont parsemé sa surface de petits cratères plus sombres. Une belle couleur brune augure du régal tout proche.

La cuisson finie, la pique transperce le beignet et l’agite afin d’évacuer l’huile à sa surface. Pour pouvoir tenir le disque brûlant, Blanchette le pose dans une feuille de papier repliée sur elle-même.

Vous pouvez, enfin, déguster la chose. On mord dans cette surface luisante qui enveloppe une mie blanche encore brûlante. La rapide plongée dans le bain bouillonnant a créé d’innombrables alvéoles qui rendent la pâte cuite souple et savoureuse. L’huile a laissé l’empreinte de son goût particulier. Un sorte d’amertume légère, un peu musquée et sans fadeur. La première bouchée arrachée au beignet roule dans la bouche et sa chaleur décuple l’alchimie onctueuse de cette simple préparation. Mais attention, si vous n’avez pas su attendre quelques instants il faudra arrondir votre bouche comme pour prononcer la lettre « O » et aspirer de l’air afin de ventiler votre palais et refroidir la bouchée brûlante qui s’y trouve. Cette légère brûlure fait aussi partie du plaisir. Au centre, là où la pâte est plus fine, c’est une mince paroi croustillante qui vient rajouter une saveur supplémentaire à la dégustation. Quand on la mord, elle se brise en d’innombrables morceaux. Cette délicieuse fragilité vous oblige à passer et repasser la langue sur vos lèvres pour récupérer les miettes collées. Le beignet est fini et la petite fringale qui vous tenaillait n’est plus. Seules les commissures des lèvres et les doigts encore un peu gras trahissent votre gourmandise.

Les grands gastronomes souligneront qu’une simple pâte levée et frite dans l’huile ne peut être inscrite au grand livre de la gastronomie. On peut en convenir, mais ce n’est pas l’ambition du beignet arabe. Il est conscient et fier de sa rustique simplicité. Il ne prétend pas aux honneurs des grandes tables. Il préfère se produire dans de modestes échoppes. C’est un fidèle ami qui aime réjouir le peuple de la rue.

Jacqueline RIQUELME

Merci Pierre-Emile de faire revenir à nous tous ces magnifiques souvenirs! Vos récits sont absolument merveilleux, votre plume fine et précise.

Lorsque j´étais enfant, nous faisions mon père et moi, sans exception, tous les dimanches matin, une petite promenade. Nous descendions depuis la Rue Taine jusqu´au trois horloges, nous marchions lentement; c´était l´heure des confidences: "Alors ma fille, le lycée ça marche au moins? Et les maths, tu comprends quand même?." Parfois un petit mensonge effleurait mes lèvres: Bon, oui, c´est pas mal. (Mais j´étais nulle en maths, et les notes laissaient bien à désirer) Nous bavardions tout le long du chemin, main dans la main, son contact si proche me rassurait, j´étais heureuse car j´avais mon père pour moi toute seule, tout en bavardant nos pas nous menaient jusque chez chez Blanchette, mon père discutait un peu avec lui de choses et d´autres car ils se connaissaient bien, et nous achetions ces superbes beignets que vous avez, cher Pierre-Emile si bien décrit, je repartais à la maison avec mon chaud trésor entre les mains. Arrivés chez nous, ma mère préparait un café noir qui parfumait tout l´appartement, nous prenions alors ce petit déjeuner qui me semblait digne d´une princesse, car ces beignets étaient pour nous : BOCATO DI CARDINALE !