UN DIMANCHE AU BOULEVARD BRU

Dans les méandres du long fleuve de la mémoire si fidèle

qu'elle nous permet de garder notre histoire immortelle,

nous aurons toujours quelque chose d'Alger

qui nous replonge dans nos joies passées.

Une fois de plus cela se passe lors d'un dimanche, peut être d'avril,

mon père nous emmène en auto de l'autre côté de la ville

pour passer une journée en famille.

Nous prenons de la hauteur par la rue Mizon et la rampe Valée,

passons la caserne d'Orléans, les Tagarins sont maintenant tout près,

on en contourne le stade, et sur le boulevard du Télémly nous roulons un bon moment.

Que la route est agréable quand nous montons vers le Parc de Galland

que je connais pour avoir dévaler ses escaliers qui descendent majestueusement

au milieu de plans d'eau recouverts de nénuphars aux tons éclatants.

Nous longeons alors le parc luxuriant du Palais d'Eté, et un peu plus loin

on aperçoit l'Hôtel St Georges et son charmant jardin,

après, au niveau de la Maison de la Radio nous sommes tout près

du boulevard Bru où mon oncle Vincent, boulanger

tient sa boutique sur cette longue et jolie voie étalée

sur le flanc de la colline en direction de la Redoute et du Clos Salembier.

L'après midi nous partons en promenade,

j'en profite pour m'éclipser et partir seul en ballade,

je continue sur le boulevard au hasard puis je m'asseois sur un parapet,

et là je découvre pour la première fois le spectacle fascinant d'Alger

s'étalant à perte de vue devant moi comme nulle part ailleurs

dans une parfaite harmonie de formes et de couleurs .

Mon âme de jeune garçon a du mal à absorber tant de beautés

et en voyant s'étaler devant moi tous ces quartiers

je me dis quelle chance j'ai de pouvoir ainsi les admirer.

Soudain une jolie nymphe venant de je ne sais où me rejoint,

elle commence par me décrire le panorama comme une habituée du coin,

depuis le Ravin de la Femme Sauvage, dont elle me raconte la légende oubliée

de cette mère qui, folle de désespoir de n'avoir pu retrouver ses enfants égarés

vécut seule dans les bois et disparut à jamais.

Après le Ruisseau, elle me montre un lieu de rêve et de calme, le Jardin d'Essai

aux allées ombragées bordées d'arbres exotiques aux verts les plus nuançés,

puis on continue vers Belcourt, et vers la route moutonnière qui longe le Hamma.

Je vois alors son regard planant au dessus du Champ de Manoeuvres et de Mustapha,

du square Laférière, et remontant vers le Fort l'Empereur et le haut de la Casbah

il plonge en direction de l'Amirauté, du phare, et de la jetée tout là bas.

Notre regard glisse alors vers l'immense port, jusqu'au bassin de l'Agha,

et au delà vers cette baie si belle qu'elle semble nous offrir une invitation

à la rejoindre dans la tièdeur de ses flots bleus pour y nager à l'unisson.

Limite superbe de la ville, c'est moi qui lui montre Notre Dame d'Afrique

bien minuscule dans le lointain, mais toujours aussi magnifique.

Longtemps elle va continuer à me parler de notre ville avec passion,

je continuer à regarder ce beau tableau tout en l'écoutant avec attention,

mais alors que je n'ai pas encore eu le temps de digérer

un tel spectacle, voilà que, sans crier gare, la belle disparaît

et me laisse seul, je la cherche alors longuement sans que je puisse la retrouver.

Je rejoints alors ma famille, et dans la 203 je suis encore amer

alors que nous rejoignons Bab El Oued, mon quartier, par le bord de mer.

En rentrant rue Réaumur j'ai l'esprit un peu chamboulé,

je me dis que je retournerai vite chez mon oncle pour revoir cet Alger de lumière,

et qu'à cette occasion je ferai tout pour retrouver mon petit guide éphémère

car depuis que je l'ai rencontrée elle reste pour moi tout un mystère.

Robert Voirin (Rue Réaumur)