Jean-Jean MORENO
mardi 22 septembre 2015 - Bibliothèque des trois horloges
Le : 03/04/2013 21:21
Les écoles de Bab el oued
Notre quartier Je suis né et j’ai grandi dans un quartier populaire situé au nord d’Alger, au bord de cette baie magnifique qui nait ici, sur les plages de mon quartier et termine son anse au cap Matifou. On dit qu’elle serait une des plus belles baies au monde surtout si on l’admire du haut de la colline de Bouzaréah ou bien de l’esplanade de la basilique de Notre dame d’Afrique par un ciel clair et sans nuages
Notre quartier se nomme BAB EL OUED qui veut dire en arabe : La porte de la rivière. A mon époque, dans les années 50, comme d’ailleurs depuis les premières décennies de la colonisation Française, ce quartier se différenciait de tous les autres quartiers de cette ville d’Alger par la diversité de sa population de migrants: espagnols, italiens, maltais sans oublier les indigènes Juifs, Arabes et Berbères qui occupaient déjà l’endroit depuis des siècles. Tout ce petit monde était venu s’installer ici près de la carrière de pierres qui a servie à la construction des édifices de la ville d’Alger et de sa banlieue, on la nommait la CARRIERE JAUBERT.
Notre langue Avec le temps, notre parler haut en couleur, issu d’un mélange de langues et d’accents de toute cette population bigarrée, avec tout de même le Français comme base de langage, était nommait »Pataouette ». Voila, on parlait le Pataouette ici, chez nous à Bab el Oued! Il n’y avait pas une phrase, pas un juron sans une expression espagnole ou italienne complétée d’un mot arabe. Tout le monde s’y retrouvait : petits, grands, ouvriers ou notables, tous avaient cet accent spécifique au quartier de Bab el oued !
Par conséquent, il a fallu éduquer les enfants de ces migrants, c'est-à-dire les envoyer à l’école communale, celle de la République , pour leurs enseigner le français, le calcul et surtout la géographie et l’histoire non pas celle de l’Algérie mais de…….. la France , celle de Vercingétorix et son peuple gaulois se battant à Alésia, le nom de toutes les rivières et fleuves de France ainsi que les départements et leur chef lieux!
Pour se faire, il fut construit plusieurs écoles dans notre quartier sous l’égide, non seulement de nos élus mais également de nos religieux.
Nos écoles La plus célèbre à ma connaissance, fut l’école Lelièvre du nom de la placette située devant l’école. On la nommait « l’université de Bab el Oued ». Cette grande école/collège était un peu le centre de ce grand quartier. Elle faisait face, je crois, à la première église de bab el oued, l’église Saint Joseph, où beaucoup de nouveaux nés ont été baptisés, ont fait par la suite leur communion et se sont mariés !
Autour de cette église ont été construit d’autres édifices scolaires et sociaux mais principalement religieux, qui accueillaient les touts petits en garderie ou cours préparatoire et les adultes: indigents, nécessiteux, au « fourneau économique », sorte de réfectoire géré par les sœurs St Vincent de Paul qui servaient une assiette complète le midi par une petite trappe à ces gens qui attendaient leur repas. Je peux en parler puisque j’ai bénéficié moi-même de ces repas pendant pas mal de temps dans ma jeunesse. Je n’oublie pas non plus ce dispensaire de la rue de Sidi Benhour qui prenait soin des infortunés du quartier, je me suis fait moi-même, très jeune, opérer des végétations dans ce dispensaire.
Il y avait également pas très loin de là, en remontant vers la bassetta, l’école des filles de la rue de Normandie. Impossible d’en dire plus, elle était, comme son nom l’indiquait, réservée aux filles donc pas question aux garçons d’y rentrer !
Un peu plus bas, l’école Sigwalt accueillait les enfants de la cité des « Messageries », de la rue de Dijon et les futurs écoliers venant de l’école maternelle de la cité de la Consolation car dans cette cité il n’y avait pas d’école primaire, juste une école maternelle.
En se dirigeant vers le square Guillemin, on pouvait remonter la rue Rochambeau en passant devant cette école du même nom réservée aux gamins de cette rue, de l’avenue Malakoff et avenue Durando.
De cette école, on atteignait l’école Franklin en prenant par le sud les escaliers coupants les avenues Durando et de la Bouzaréah. C ’était l’école « de la place des Trois Horloges » puis qu’elle était la plus proche de cette place.
L’école Lazerge, elle, était située prés du square Nelson, enclavée entre l’avenue de la Marne , le square Guillemin et le bord de mer.
A l’opposé de Bab el Oued, en direction de la Bouzaréah , l’école de la rue Léon Roches qui était située au dessus de l’église St Louis et de la fabrique de cigarettes « Melia » accueillait les gosses de la rue Maxime Noiré, du groupe Taine et autres immeubles du coin. Ils s’y donnaient rendez-vous tous les jours sauf les jeudis et dimanches.
A l’entrée de la rue Camille Douls, en haut de la côte de la Bassetta , était également une école où se retrouvaient les gamins de cette rue, de la place du tertre, de la bassetta et boulevard de Champagne.
Le chemin de mon école L’école que j’ai la plus fréquentée se trouve être l’école Céccaldi de la rue Larrey, la plus éloignée de chez moi, au bout de la rue cardinal Verdier. Pourquoi ma mère avait-elle décidé de m’inscrire à cette école si loin de notre domicile? Je n’en sais strictement rien ! Pour m’y rendre le matin, je devais redescendre un bout de l’avenue de la Bouzaréah en passant face à la « goutte de lait » et la cité « des Moulins » c'est-à-dire devant le bijoutier Mr Menella et la maison de la presse de Mr Pégnello où sa belle mère trônait, assise au près de la caisse, devant l’étal de journaux. Quelques fois, lors qu’elle m’apercevait, elle m’interpelait pour me donner 100 sous qui représentaient 5 anciens francs de l’époque pour m’acheter 5 caramels à 20 sous que je prenais chez le « moutchou », le Mozabite d’à côté. Ensuite j’empruntais sur la gauche la rue du cardinal Verdier. Sur la droite je laissais le fameux passage de la Ruche qui menait tout droit au marché, notre cher marché de bab el oued qui grouillait déjà de ces badauds matinaux. Je coupais la rue des Moulins et j’attaquais le petit raidillon en passant devant le local de musique où répétait le soir la troupe philarmonique des « Routiniers de Bab el oued ». Mon père en faisait parti, il jouait de la guitare alto, une guitare spéciale à quatre cordes. J’ai encore en tête ces airs de musique qui ont voyagés jusqu’en France puisque la troupe a participé à plusieurs festivals en métropole pendant les périodes estivales et a obtenu plusieurs prix d’interprétation. Au dessus de ce grand local était cette fameuse « université », l’école Lelièvre que j’ai décrit plus haut. En poursuivant ma route je croisais la rue Jean. Jaurès qui m’a toujours paru être une rue sombre dans sa partie montante à gauche, peut-être n’est-ce qu’une impression. Puis la rue de Normandie, une très grande rue. Elle menait du haut de la place de la Bassetta au boulevard de Champagne. Dans le prolongement, entre la rue du Dauphiné et le boulevard de Champagne, des effluves de parfum de jasmin nous chatouillaient les narines. On approchait de l’usine Zouaï, fabrique de parfums très prisés encore maintenant. J’ai voulu m’en assurer en consultant sur Internet leur site: étonnant! De cet endroit, la rue du cardinal Verdier longe sur la droite l’enceinte de l’hôpital Maillot, ancienne hôpital du Dey qui devait soigner à sa fondation, certaines maladies qui se développaient dans nos régions africaines et qui ont apparemment disparues à ce jour. A partir des années 55/56, cet hôpital a surtout servi à soulager les maux des soldats Français blessés durant les opérations dans les Aurés. Ce mur, toujours sur notre droite, se prolongeait jusqu’à la clinique Barbier Hugo, à l’angle du boulevard de Flandre. Sur la gauche on côtoyait les immeubles qui forment l’ensemble de la cité Picardie, la montée de la rue Réaumur et celle du chemin de Notre Dame d’Afrique et un peu plus loin, la fabrique de téléphones. En entrant dans la rue larrey, la fabrique d’alva, sorte de pâte d’amande que l’on appelait « caca de cheval » libérait ses délicieux aromes de miel entre autres parfums. 100m plus haut, juste après la menuiserie « Llavador », c’était notre école.
Mon école Deux bâtisses en bois de couleur verte, alignées le long de la rue Larrey, abritaient chacune quatre classes: deux au rez-de-chaussée, les deux autres à l’étage. On accédait à la cour de l’école par un portail entre ces deux bâtisses. Rien de trop majestueux dans ces édifices en bois mais surtout une bonne touche d’exotisme. Au fond de cette cour, à gauche, le grand préau équipé de toilettes et lavabos nous abritait pendant les récréations pluvieuses. Il était surmonté d’un appartement également en bois où logeaient la concierge et sa petite famille. L’école était enclavée entre la rue Larrey d’un côté et le cimetière de St Eugène de l’autre.
Notre école était en surplomb de ce cimetière qui descendait en pente douce jusqu’à la mer, ce qui nous permettait d’avoir un des plus beaux panoramas qui m’ait été donné d’admirer : la quiétude de ce cimetière très bien entretenu avec ses massifs de fleurs et ses ifs majestueux traçant les allées et les carrés des tombes. Je le connaissais tout particulièrement puisque ma grand-mère reposait juste derrière ce mur mitoyen à l’école. Au loin, la mer Méditerranée d’un bleu superbe emplissant cette baie d’Alger éclairée d’un soleil si éclatant que cette ville portait bien son surnom d’« Alger la blanche ».
Ce magnifique panorama s’observait surtout lors qu’on occupait les classes du 1er étage, c’était les cours de CM1/CM2 et Fin d’étude primaire, le fameux Certificat d’étude que l’on passait à l’âge de 14 ans quand nous avions été refusé à l’entrée au collège, pas toujours par manque de résultat scolaire de l’avis de nos maitres mais souvent par les besoins matériels familiaux qui nous obligeaient à entrer dans la vie active de suite après cet examen.
Je me souviens tout particulièrement de ma dernière année scolaire, en fin d’étude dans la classe de Mr Melka. Avant de monter en classe, il nous faisait aligner par deux dans la cour et sur son ordre, nous y entrions après avoir monté ces escaliers.
Les plus chanceux d’entre nous, si on peut les appeler ainsi, occupaient non pas le fond de la classe au chaud près du poêle, il n’y en avait pas dans notre école, mais les pupitres près des fenêtres avec vue sur le cimetière et la mer en fond de décor. Malheureusement pour ces élèves il y avait un gros inconvénient, c’était le manque de concentration au tableau et aux explications du maitre. Il est vrai qu’on ne pouvait pas avoir un œil sur la mer et rester concentré sur les cours. Notre maitre y veillait en permanence en se promenant entre les deux allées qui séparaient les trois rangées de pupitres, munie de sa grande règle. Les punitions: les oreilles tirées et les coups de règle sur le crane ou les doigts étaient le lot quotidien de nos misères mais je ne me souviens pas avoir entendu un seul parent se plaindre des ces sanctions-là.
La journée commençait invariablement par le remplissage des encriers. Nous pensions que cette tâche était réservée aux plus fayots de la classe puisque c’était presque toujours les mêmes qui en étaient chargés. Avouons tout de même qu’il fallait avoir un certain « coup de patte » pour ne pas éclabousser d’encre les pupitres et autour des encriers!
La leçon de morale ou le cours d’instruction civique, alternativement, commençait toujours notre journée scolaire. Mr Melka écrivait au tableau la phrase qui dictait la morale du jour, bien souvent tirée d’une fable de La Fontaine , et nous devions la recopier sur nos cahiers d’étude afin de l’apprendre à la maison et la réciter en cœur le surlendemain matin. Le cours d’instruction civique m’intéressait particulièrement. Le maitre nous parlait de sujets divers qui nous donnaient l’impression d’être déjà des adultes puisqu’on abordait indifféremment le comportement de l’individu dans le milieu social : respect d’autrui, assistance aux anciens, etc. et également notre système Républicain : le rôle des mairies, etc. Personnellement ça me plaisait beaucoup !
Le Français ou le calcul s’étudiait principalement le matin pour la simple raison: Nous étions encore à peu près concentrés, attentifs aux explications répétées du maitre qui cherchait coute que coute à nous faire comprendre ce qu’était un sujet, un verbe ou bien un complément d’objet qu’il soit direct ou indirect, à placer tous ces beaux mots dans des phrases qui faisaient l’objet d’une dictée et la désolation de la plus part d’entre nous ! J’ose à peine vous parler des problèmes d’arithmétiques qui ne réjouissaient pratiquement personne à part peut-être notre maitre. On sentait une jubilation en lui quand il énonçait et écrivait le problème à résoudre au tableau. Souvent le sujet se passait entre deux trains qui se croisent ou bien qui se doublent à des vitesses différentes, sans vous parler des cinq minutes d’arrêt dans une gare quelconque en France alors que nous étions en Algérie, allez comprendre quelque chose !
Vers le milieu de la matinée, nous avions une trentaine de minutes de répit en récréation pour nous défouler entre copains et penser à autres choses que ces tortures mentales que notre maitre cherchait à nous infliger. Plusieurs groupes se formaient, souvent les mêmes élèves se retrouvaient ensemble. Certains chahutaient en jouant à la balle en papier, aux billes ou même aux noyaux d’abricots pendant la saison, d’autres s’appliquaient à parler encore de leçons et cours déjà vus ou à venir. Ils n’étaient pas nombreux et je n’en faisais pas parti, c’est sur ! Pendant ce temps, les maitres et maitresses discutaient entre eux. Notre seul souci était de tout mettre en œuvre pour ne pas attirer l’attention de Mme Domergue, une vraie tigresse qui nous punissait pour une simple broutille, elle usait allègrement de sa grande règle qu’elle promenait jusque dans la cour de récréation !
En revanche, avec les copains bien plus espiègles que moi, on l’attendait le matin quand elle arrivait dans sa « quatre chevaux ». Elle se garait invariablement au même endroit, le long du trottoir de l’école et pour descendre de son véhicule, elle ouvrait en grand sa portière qui s’ouvrait à l’envers des portières de voitures de maintenant, ensuite elle balançait une jambe dehors pour s’extirper de son siège. C’est à ce moment que certain d’entre nous avait besoin de se relacer ses chaussures pour « mater » la culotte de l’institutrice Mme Domergue, la gendarmette de l’école Céccaldi ! Tu penses bien qu’elle devait s’en douter mais elle n’en a jamais fait allusion dans l’école, j’en parlais encore récemment avec un ami – un sacré rapide celui-là !-qui s’en souvenait très bien ! C’était un peu notre vengeance à nous !
Dans le fond de la cour de récréation était le préau. Je pense qu’il ressemblait à tous les préaux des écoles de notre époque avec leurs pissotières en ardoise qui nous permettaient de faire les fameux concours du jet le plus long ! Il y avait des spécialistes en la matière et j’avais remarqué que c’était les mêmes gamins délurés qui allaient, grâce à l’espace entre le sol et le bas de la porte des toilettes, taquiner les copains, le short en bas des jambes, occupés à se soulager ! « Ah les petits voyous » aurait dit notre gendarmette de service ! Au dessus du préau habitait la concierge avec sa famille et l’ensemble des constructions de cette école était en bois.
A l’heure du midi, chacun d’entre nous s’en retournaient chez eux pour savourer le déjeuner qu’avait préparé leur maman. Faut dire qu’ils n’habitaient pas très loin. Certains étaient de la cité Picardie ou rue Réaumur, d’autres chemin Notre Dame d’Afrique ou même de la Consolation. Comme je demeurais assez loin de l’école, je me restaurais d’un plat pris au « Fourneau Economique », sorte de cantine située rue de Normandie et dirigeait par les Sœurs St Vincent de Paul, comme je vous le disais au début de ce texte. C’était un endroit lugubre mais calme où l’on prenait notre assiette déposée sur un passe-plat avant d’aller s’installer à table pour déguster nos délicieuses nouilles, patates, haricots blancs ou lentilles car on avait faim. Le repas terminé, on allait passer un petit moment à jouer au ballon de papier sur la place Lelièvre avec les gars de l’école du même nom avant de reprendre le chemin à l’envers, direction l’école de la rue Larrey, pour entamer la deuxième partie de la journée.
Comme dans toutes les écoles d’Algérie, de France ou de Navarre, le temps passait sur les bancs l’après midi ressemblait au matin sauf qu’à ce moment de la journée, le maitre nous parlait plutôt de Géographie - de France bien sur - , avec ces grandes cartes accrochées sur les murs de la classe, d’Histoire de France - mais pas d’Algérie - ou bien de Sciences Naturelles ou de Leçon de chose qu’on disait.
Pour terminer la journée, il était préférable, sous peine de punition, de noter les devoirs à faire le soir à la maison. Le maitre, de sa très belle écriture cursive, nous écrivait « ces travaux de forçats » au tableau
Pour quitter la classe, nous devions attendre l’ordre du maitre debout à côté de notre pupitre. On en sortait un par un sans bruit, on descendait les escaliers dans un calme relatif jusqu’à la grille de l’école et là, malgré la surveillance de nos enseignants, c’était le défoulement verbal mais aussi les règlements de compte à coup de poings et pieds mais également à coup de cartables. Nos parents s’étonnaient toujours que les coutures de nos cartables ne tenaient jamais et pour cause… A notre décharge, il faut dire que ceux-ci n’étaient généralement pas en cuir, trop cher pour la bourse de nos parents mais, comme on disait, en carton mâché. Quand ils avaient été arrosés par quelques averses sur le chemin de l’école, les fermetures ou les poignées ou même les fonds ne résistaient plus beaucoup. C’est pour cette raison qu’on nous voyait souvent porter nos cartables sous le bras par mesure de sécurité.
Voila ce qu’était mon école, une école bien agréable à vivre, construite en bois, à l’extrémité de Bab el Oued, juste avant la petite ville de St Eugéne. Cette école Céccaldi de la rue Larrey qui a initié à la vie et aux études tant de garçons de toutes communautés, devenus pour la plus part des gens bien respectables. Je peux en attester puisque, par Internet, j’en côtoie encore quelque uns avec qui nous partageons nos souvenirs de jeunesse, ceux d’avant cette date fatidique de l’été 1962 et l’embarquement sur ce bateau qui nous a définitivement écarté de ce pays, notre pays. Je ne pourrais jamais parler de ce lieu de délice qu’était mon école sans un pincement au cœur tant je l’ai aimé ! Jean-Jean MORENO