MERZAK
mardi 4 février 2014 - Bibliothèque des trois horloges
Le : 13/03/2013 22:43
Mr Eschinni.
Quel quartier n'a pas eu son personnage "spécial" faisant des apparitions épisodiques et pittorèsques, et que l'on taquinait gentiment.
Nous en avions un aussi, qui avait cette allure relachée d'un dimanche à la maison. Un dimanche qui durait des années, ressassant les mêmes reflexions, les mêmes confidences que la veille et que le lendemain.
On restait tout de même, à la fois perplexe et attendri devant la monotonie de cette vie rytmée par la ronde des saisons, dans lesquelles les jours se superposent aux jours, et les années aux années.
Toujours vétu à la 6-4-2 (sauf le dimanche), beaucoup l'appelaient Four à chaux "Fouratcho", et lui, fier de son camaïeu, était complètement imperméable aux critiques.
Andrée le connait car elle venait souvent aux baraquements en face.
Son nom Mr Eschinni ne lui dira rien. Mais si je lui dit que c'était le marbrier du 26 Ave Malakoff, alors cela remontera à la surface.
Un véritable artiste qui travaillait cette roche avec amour et noblesse (une de ses oeuvres, une boussole, se trouve toujours à Notre Dame, et à chaque passage, on se remémore avec émoi et tristesse cet homme qui a marqué ce quartier). Il était originaire de la région de Carrare, d'où venait le célèbre marbre blanc.
Il est parti un beau jour, comme beaucoup d'autres personnages du même calibre.
Sachez Mr Eschinni, où que vous soyez, que vous avez laissé un vide immense. C'est étrange, mais personne n'aurait pensé à le tutoyer.
Peut être parce qu'il tenait beaucoup à la noblesse d'un vocabulaire choisi et oublié de nos jours.
Nous avons beaucoup appris avec lui sur l'art et la peinture italiens. Quand à la lecture, il n'avait de goût que pour les auteurs qui écrivent "maigre": Laclos, Saint Simon, Retz, La Rochefoucauld...et nous gamins de l'époque, étions émerveillés par ces énigmes que nous ne comprenions pas.
Je tenais aujourd'hui à rendre hommage à cet homme qui a accompagné notre enfance et une partie de notre adolescence.
Il a marqué ce quartier qui longtemps fût miraculeusement préservé de la boulimie des promoteurs immobiliers et, qui est maintenant à l'abandon et privé de futur.
Où sont tous les êtres démunis et fiers qui ont fait "vivre" et "vibrer" ce quartier? Où sont les gitans de l'héliport?, "les résidents de la plage": Kaouène, Latrache, Drimouche, Rouget, Le Manchot, Yeux Rouges, Merzak (frère de Abdelkader, Yahia et Mokhtar Kentéra) et l'immense Choucha disparue dans d'atroces conditions que je tairais ici. Kiki le gardien de la mémoire et du Stade que je ne manque jamais de saluer à chaque passage à Alger.
Le magasin La Mer a disparu comme tant d'autres...mais les souvenirs restent. Indélébiles. Ainsi que cette nostagie qui est un véritable bonheur à l'imparfait.
Je m'excuse de la longueur de ce texte et remercie ceux qui ont eu la patience de le lire jusqu'au bout.