André TRIVES
jeudi 8 décembre 2011 - Bibliothèque des trois horloges
Le : 08/10/2010 10:39
UN TRESOR PERDU: la langue de chez nous.
Existait-il un parler rassembleur qui prenait en compte les langues des diverses communautés vivant en Algérie ? La réponse est OUI.
Ce parler est né dans les années 1850 et s'en est retourné dans l'oubli en 1962. Son lieu d'invention: le faubourg populaire de Bab el Oued à l'ouest d'Alger.Suivant les communautés, on parlait le français
( langue officielle et fédératrice), l'arabe, l'italien,le berbère, l'espagnol, l'hébreu ou le maltais; c'était aussi une bonne manière d'apprendre les langues étrangères à l'école de la rue, mais il fallait impérativement se comprendre. D'où le travail des anciens avec leur sagesse légendaire et l'aide de la vox populi qui ont trituré, malaxé et remodelé dans le creuset de notre quartier populaire les mots incompris pour leur donner une signification qui n'oubliait personne. Ainsi, le "sabir" et le "pataouète" sont nés pour que la vie se déclame en couleurs méditerranéennes pleine de soleil où l'étranger n'apparaissait pas comme un être étrange, mais plutôt comme un être faisant parti du tout. C'était avant tout une considération respectueuse à l'égard des autres que de prendre en compte les racines de chacun. Utiliser un langage commun contenant des tournures spécifiques aux différents cultures, démontrait que l'autre était notre semblable. Trouver ce qui réunissait les valeurs éparses de la diversité, tel était la langue de ches nous.
Auguste ROBINET dit "Musette", grand écrivain qui avait son buste sur la place du Tertre à la Bassetta nous a enchantés avec les célèbres amours de Cagayous. Edmond BRUA dans la célèbre parodie du Cid, plus tard "La famille Hernandez" et récemment Roland BACRI, ont donné leurs lettres de noblesse à notre richesse linguistique perdue. Le parler et l'accent du petit peuple de Bab el Oued étaient un patrimoine commun hérité des générations précédentes et avaient l'avantage de nous faire appartenir à une même et belle famille.
Cette langue singulière avait été façonnée avec l'emploi du geste pour communiquer l'image vivante de la pensée. Sans l'agitation des mains, la phrase perdait tout crédit. La manière était précurseur de la technique du camescope et probablement l'ancêtre de la vidéo actuelle. A l'école, nos maîtres gesticulaient leurs cours pour nous tracer dans un espace virtuel l'abcisse et l'ordonnée, le plus et le moins, sans oublier la place occupée dans la phrase par le sujet, le verbe et le complément. Pour se faire comprendre, il était indispensable de convaincre; alors, souvent, une conversation sur un trottoir laissait penser qu'elle était conduite par un chef d'orchestre symphonique.
A Bab el Oued, les communautés avaient inventé, bien avant l'Espéranto (1887), une langue universelle comprise de tous. Elle était une sorte de tramway de la pensée, comme dans nos anciens trams des T.A.à Alger: bourrés de Français, d'Arabes, d'Italiens, d'Espagnols, Juifs,Musulmans,Chrétiens ou pas. Un mélange extraordinaire échangeant des néologismes, des tournures, des constructions de phrases typiques, un langage parlé et gestuel des plus expressif comme le "bras d'honneur", des vocables télégraphistes ( téléphone arabe) et des syntaxes exubérantes chauffées à blanc par le soleil de méditerranée.
La langue de la tour de BABEL, OUED évidemment.