Michel SUCH
vendredi 2 décembre 2011 - Bibliothèque des trois horloges
Le : 21/04/2010 16:13
Madame Loubet ! Oui c’est ça. Madame Loubet !
Ma première maîtresse comme aimait à le dire mon grand-père Chenzo. Il m’a fallu bien du temps pour en comprendre les sous-entendus.
Ma première maîtresse de maternelle, de la rue ‘ Camidouce’ s’appelait Madame Loubet.
Je me souviens de cette grande cour de récréation. Des tabliers que nous portions filles et garçons. Et du petit sac en tissus avec mon nom cousu sur une étiquette.
Sous une pile de draps, dans l’armoire à linge de ma mère, sans trop chercher, je sais que je trouverai ce petit sac en toile avec des mèches de cheveux dans du papier de soie.
Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, dans toutes les classes, ça s’anime. Je ne suis plus en maternelle, je dois avoir 7 ans.
« Restez calmes les enfants, nous descendons dans la cour. »
Petit à petit, la cour de récréation se rempli. Toute l’école est dans la cour, en rang, par classe.
La directrice est en face de nous. Elle tient par la main « un petit », même pas l’âge de la maternelle. Il est tout crotté, les genoux écorchés. Y pleure même pas. Il a l’air content, moqueur… La directrice demande le silence, les maîtres et maîtresses l’aident à l’obtenir.
« Est-ce que quelqu’un connaît cet enfant ? »
Il y a du remue-ménage dans la cour.
Tu parles si je le connais cet enfant. C’est José, mon petit frère.
Il a échappé à la surveillance de ma grand-mère.. Vous savez. ! Ma grand-mère! Angèle la Maltaise. Celle qui enlève l’infite et les coups de soleil. En ce moment, je suis certain que le sang doit lui tourner dans les veines, que toute la Basseta doit être en effervescence. Tout le monde recherche mon frère.
Mon père qui est boulanger et qui travaille chez Senabre a eu la permission de quitter le fournil.
Chez Bastos, ma mère est en larmes, assise sur une caisse. Madame Méraga et Madame Sintés, lui passent de l’eau fraîche sur le visage. Elle s’est évanouie. La sécurité n’a pas fonctionné. Il y a un gros bourrage sur la chaîne d’empaquetage.
La directrice reprend pour la deuxième fois « Est-ce que quelqu’un connaît cet enfant ? »
Les frères Muscat qui sont derrière moi me poussent hors du rang. Je marmonne quelque chose. C’est lui qui me sauve. Il a échappé à la directrice. Il vient vers moi. Il me prend la main. On va rester assis côte à côte sur le même banc jusqu’à la cloche pour aller déjeuner. Il a trois ans et demi. Il est content. C’est encore moi qui vais dérouiller en rentrant…
Cent fois dans ma famille on a raconté « cette fois où José… » , la gentillesse de Monsieur Senabre, le bourrage chez Bastos.
Ce qui me reste de cette journée, c’est cet instant précieux où José échappe à la directrice, où il me prend la main, où sans un mot il dit à tout le monde : C’est Michel. C’est mon frère.
Je ne me souviens plus si lui aussi a eu Madame Loubet comme maîtresse.