Le : 03/10/2009 12:59

La porte de la rivière ouverte de nouveau.

Vendredi 2 Octobre 2009, il est 13 H précises (heure locale), l'avion lancé en bout de piste se cabre et décolle de notre rêve qui était devenu réalité depuis 2 jours, 2 petits jours qui nous ont semblé des semaines tellement les émotions ont été aussi intenses. La première des émotions a été strictement humaine: des Algériens, des enfants de Bab el Oued, sont accourus pour nous accueillir et soutenir fraternellement notre rencontre; il y avait Zakia, Didine, Rachid et Nourredine notre accompagnateur, un blidéen n'ayant pas connu les pieds-noirs, mais qui a su nous redonner de la fierté:" Ici vous êtes chez vous" " Vous êtes des français avec un grand A ". Les rencontres sur les trottoirs où les gens qui passent s'arrêtent pour vous parler; ils sont heureux de savoir que nous sommes du pays. Les vieux qui avoisinent nos âges ne tarissent pas d'éloges sur la jeunesse vécue en notre compagnie:" Avant c'était le bon temps, la bonne vie...". Un Algérien nostalgique nous a cisaillé avec ces mots:" Moi, je ne suis pas Arabe, je suis Pieds-Noir." Les jeunes nous indiquent que leurs parents ont toujours dit du bien de leurs voisins français. Puis, les retrouvailles du quartier ont été empruntes d'une grande nostalgie: impossible de regarder le présent sans y revoir notre passé. 47 ans ont marqué nos différences et transformé notre époque. Je suis arrivé troublé dans la rue et devant l'endroit où je suis né. Mon père, maçon de métier, avait en 1949, modernisé le magasin de vins et liqueurs au 4 de la rue des Moulins. La devanture avait été refaite dans un graniteau couleur rougeâtre, et pour que le grain soit joli, il était indispensable de frotter le mur avec de l'eau et une pierre ponce. J'avais, avec toute l'ardeur d'un enfant de 8 ans participé à reluire la pierre... Aujourd'hui, j'ai eu l'impression de caresser les mains de mon père en passant tendrement la mienne sur le graniteau sâle et vieilli qui encadre toujours l'entrée du magasin dont le rideau est baissé, probablement pour limiter mon émotion.

Toutes les mètres carrés des rues et des trottoirs qui mènent au marché sont occupés par les étals des vendeurs du tout et de n'importe quoi. La foule dense va et vient; elle semble errer à la recherche de quelque chose qu'elle ne trouve pas. Où est passée ma rue des Moulins, la rue du Roussillon? Aujourd'hui il serait impossible de faire une partie de pelotte car la rue totalement encombrée, regorge de trous et d'ornières et ne permettrait pas de dessiner au sol une marelle. Comment ferions nous pour disputer une partie de noyaux ou une partie de tchappes ? Disparue la course des yaouleds derrière un cerceau, terminée la volée de guitane pour faire tourner le gangui acéré de la toupie. Mon petit Bab el Oued est différent. C'est Didine, voyant mon désarroi, qui me souffla le mot juste: " c'est devenu le marché de Kandaar au Pakistan". Quelques havres de paix subsistent au milieu de ce tohu-bohu gigantesque: la cour de l'école de la rue Léon Roches où je perçois le chant d'une classe qui répète une table de multiplication, la cour de l'école maternelle de la rue Normandie, zébrée d'ombre et de lumière, sous les feuillages d'un tilleul, des jeunes enfants sautillants de joie sous le jeu de la maîtresse que nous venons d'interrompre. Les saluts des enfants en tabliers roses surpris de nous voir s'intéresser à eux. C'est dans ce calme que je me revois enfant dans ces lieux et plutard instituteur au service de mon quartier... C'était il y a 47 ans.

Un moment fort: la rencontre avec l'épouse de l'ami MOMO, trop vite ravi à l'affection des siens.

Une dernière chose marquante: j'avais oublié la chaleur moite de notre Alger; c'est pénible de transpirer du matin au soir.

Margré les tâches éparpillées aujourd'hui sur le tableau de mon Bab el Oued, il n'en demeure pas moins que les attaches qui me lient à cette ville sont indéfectibles. J'ai eu mal, mais c'était bien ici que mes racines ont construit l'homme que je suis devenu.