André TRIVES
samedi 19 mars 2011 - Bibliothèque des trois horloges
NOEL A ALGER
Ecrire ces mots "noël à Alger", quoi de plus banal me direz-vous? Seulement voilà "noël" et "Alger" sont des mots magiques dans la mémoire collective des gens de là-bas. Ils évoquent des souvenirs d'enfance impérissables qui vous donnent des salves de frissons et secouent la tirelire des souvenirs avec une telle précision, une telle vérité que l'on peut se demander:" ai-je bien vécu cette réalité ou l'ai-je totalement inventée ?".
Hier, 25 décembre 2008, soixante sixième noël de mon existence, je ne peux m'empêcher de revivre ces moments d'époque révolue, pleins d'amour et d'amitié sous le regard pétillant de vie de nos parents, de nos amis et de nos voisins. Est-il opportun de revoir le film de son enfance et livrer aux quatre vents des souvenirs intimes, au risque de se faire traiter de passéiste radoteur ? Je ne me pose même pas la question. J'ai tout simplement envie de dire une vérité intangible qui appartenait à tout le petit peuple de Bab el Oued, et pas seulement à moi; la remettre au présent pour quelques instants, comme avant. Percevoir une fois encore la voix et les éclats de rire de ceux qui nous ont donné la vie et appris les principes et les valeurs qui font notre fierté aujourd'hui. Retrouver l'ambiance et la mentalité qui berçaient notre quotidien dont la finalité était de protéger et de conduire à un avenir meilleur la petite famille qu'ils avaient créée. Au rayon des choses importantes à retenir dans une vie, il y a celle qui consiste à ne jamais oublier d'où l'on vient. Rendre hommage à ces anciens du quartier qui nous ont entourés d'affection et de compréhension dans ces années de prime enfance, c'est redonner du sens à sa vie.
Souvenons-nous...¨La bûche dans la cheminée, les souliers au pied du sapin décoré, des paquets cadeaux de toutes les couleurs, des jouets de rêve inaccéssible, la neige couvrant de son manteau blanc les arbres endormis; c'était ce que l'on découvrait avec éblouissement chaque année à Bab el Oued lorsque notre institutrice du cours préparatoire, Madame Winckler, affichait au tableau noir pour la leçon de vocabulaire la gravure d'école de décembre. Chez nous, Noël se passait au balcon mêm si une fois tous le trois ou quatre ans une averse de grêle blanchissait le quartier pour quelques heures et nous faisait découvrir dans la cour de l'école ces maudites engelures; mais comme à l'accoutumée, l'hiver demeurait le cancre de la classe des saisons. C'est dans le ciel constellé d'étoiles scintillantes que l'on imaginait la plus belle des crèches bibliques. Des contreforts de la Bouzaréa à la colline de Notre Dame d'Afrique en longeant la côte de Sidi Benour, la voûte étoilée brillait de mille feux et la chariot de la Grande Ourse chargé de mystères nous donnait l'impression qu'il nous était destiné.
La hotte du père Noël n'était pas en surcharge dans cette nuit algéroise comme en été, où, avant de se coucher, les petits alignaient avec soins leurs"tianglès" au pied du lit en sachant qu'il n'y aurait pas de jalousie entre frères et soeurs dont la règle prévoyait un seul jouet par enfant mais toujours accompagné d'une tonne d'amour. Les enfants de Bab el Oued savaient jouer sans jouet, ils étaient experts en ficelle, papier et bout de bois pour s'évader dans un monde merveilleux. N'allez pas imaginer pour autant que notre enfance était malheureuse, loin s'en faut; elle n'était que la traduction d'une époque où chaque sou gagné était la contrepartie de litres de sueur. Alors une trottinette ou un tricycle ou un mécano voir une poupée en chiffon ou une dînette en fer blanc constituait le rêve devenu réalité.
Pour libérer la maison (l'appartement exigu) et laisser les mères et les grands mères en toute quiétude devant les fourneaux afin de préparer le repas traditionnel qui réunissait à midi toute la smala familiale, les enfants descendaient dans la rue pour montrer avec fierté le jouet au copain. Le compresseur à air du garage du coin servait à gonfler le ballon de cuir neuf à lacet et le match de foot le plus "dramatique" de l'année se déroulait au "champ" (emplacement actuel du centre Villeneuve) car, si en quittant la maison dans la tenue du dimanche on était beau comme un astre éclatant de lumière, au retour on donnait l'impression d'avoir joué dans une fosse à purin; d'ailleurs les mamans levant les bras au ciel, vociféraient les paroles de circonstance:" mon fils, mais d'où tu viens? on dirait Slimane le charbonnier". Et le tarif c'était deux calbotes et trois botchas avant d'être frotté énergiquement dans la bassine pour pouvoir se présenter à table où la paix de Noël était retrouvée.
Le repas durait jusqu'à la nuit et nos regards se figeaient en permanence sur le grand buffet où s'étalaient comme une provocation des assiettes débordantes de patisseries maison et de confiseries de chez Angelo: royettes, endjenettes, makrods, oreillettes, mantécaos, pères Noël en chocolat, pralines, fondants au sucre et "caca de cheval"; nous avions hâte de les déguster.
Les grands se racontaient des histoires de leur vie et des histoires pour rire. Souvent on était prié de quitter les lieux pour celles réservées aux adultes:"Les enfants allez voir dans la chambre si j'y suis". Et tous, frères et soeurs, cousins et cousines, on s'entassait à même le carrelage de la chambre pour retrouver avec ferveur notre univers où les rires et les cris n'enviaient pas ceux de nos aînés. Un silence religieux pour un court instant nous faisait écouter le 78 tours de Tino Rossi tournoyant sur le pick up "La voix de son maître" et, à l'unisson nous reprenions"il est né le divine enfant" et "Petit papa Noël". C'était de l'insouciance à l'état pur, c'était fort, c'était merveilleux le Noël à Alger où chaque année nous pensions que ces moments étaient éternels. On se séparait avec pour seul espoir que le Noël suivant soit vite de retour.
A tous les enfants de Bab el Oued d'hier et d'aujourd'hui.
André TRIVES