Pierre-Emile BISBAL
vendredi 11 février 2011 - Bibliothèque des trois horloges
L’enterrement.
Les premières sont les femmes. Par petit groupe elles s’approchent de l’église Saint-Joseph. Toutes de sombre vêtues avec une mantille ou un foulard sur la tête. Enroulé autour de la main qui tient le missel gonflé d’images pieuses, le chapelet familial. C’est important que ces femmes soient-la. Elles le savent et tiennent leurs places avec solennité. Il se forme des îlots qui, au gré des saluts qu’elles se portent, s’agglomèrent et grandissent. Elles se frôlent la main ou l’épaule dans des gestes apaisants. La fille agrippe le bras de sa vieille mère et, pour la soutenir, le tien serré contre son flanc. Bientôt nul ne pourra ignorer que cet après-midi il y a un enterrement.
Maintenant arrivent les hommes. Par hommage à celui qui n’est pas encore là ils ont endossé le costume des instants tristes. Ils regardent de droite et de gauche comme pour s’assurer que personne ne manque. Pour ne pas fendre la foule ils se saluent de loin en levant lentement le bras. Cette attente obéit à un ordre établi qu’ils ne veulent pas déranger. Ils n’ont pas de larmes ou tout du moins pas ici. C’est surprenant cette foule qui parle à voix basse, avec retenue alors que d’habitude le moindre petit groupe claironne et gesticule comme il sied à de bons méditerranéens. Les marches qui conduisent au parvis de l’église Saint-Joseph accueillent les proches de la famille. Là, les larmes des femmes coulent déjà. Un véhicule noir, barbare, lent, caparaçonné de fleurs s’approche et fait halte devant l’église. Il traîne la famille derrière lui. La veuve, soutenue par les enfants, s’accroche à eux comme pour ne pas être aspirée par sa douleur. Les couronnes mortuaires et leurs lettres en métal argenté ou doré disent les chagrins en des mots convenus. Le puissant soleil de ce début d’après-midi arrache des reflets aux vitres et à la carrosserie du monstre. C’est le même soleil qui, plus loin enveloppe les plages et réchauffe les baigneurs. Les cloches sonnent un rythme grave et lent. Six hommes, costume noir, cravate noire, casquette noire, sortent le cercueil. Gestes lents et automatiques. A la porte de l’Eglise, Castera, le prêtre s’avance. Le respect prend alors le visage d’une foule qui se fige. Un peu plus haut, sur la droite à la devanture du café les clients sortent et se découvrent. Les boulistes interrompent leurs parties comme si le heurt du fer contre le fer devenait indécent. Ceux qui sont assis se lèvent. Les enfants cessent leurs jeux. Le ballon est pris en main. Les courses stoppent. Les passants restent immobiles. Il n’y a que les martinets, insensibles à l’instant qui continuent leurs vols nerveux et imprévisibles. Le silence se mêle à la chaleur. Le drame imprègne chacun de nous. Un peu fade, déjà passée l’odeur des fleurs se répand. Le lourd coffre de bois tangue sur les épaules des porteurs. Ca fait comme un simulacre de barque. Le mort entre dans l’église. Le chagrin le suit pesant sur les épaules et les cœurs de ses proches. Puis, à pas lents, dans un cheminement méticuleux, tous s’engouffrent dans la nef pour montrer à celle qui reste combien celui qui part mérite qu’on chemine une dernière fois à ses cotés.
Les deux énormes battants de bois se ferment. C’est un signal qui dit « Allez, vous pouvez retourner chacun à vos occupations » Le café se remet à bruisser comme une ruche. Chapeaux et casquettes recouvrent les crânes. Les promenades reprennent. Un entre-deux fait redémarrer la partie de foot. Les boules cuivrées se heurtent de nouveau.
Je ne sais pas qui est mort et beaucoup, comme moi, l’ignorent. Il n’est pas utile qu’il soit connu de tous pour mériter notre hommage. Cela tient au fait que le peuple Pieds-Noirs s’est construit sur le déracinement. Issue de groupes différents nous avons bâti notre propre identité sur cette terre d’Algérie. Alors nous savons ce que vaut chaque individu et à quel point il est important pour la communauté. Notre respect n’est pas du à la crainte de la mort, c’est la reconnaissance de tout ce qu’a accompli celui ou celle qui part. Ce respect comme notre singulière exubérance, signent notre perpétuelle déclaration d’amour à la vie.