André TRIVES
lundi 7 février 2011 - Bibliothèque des trois horloges
LA PAROLE PERDUE... Le dimanche 27 mai prochain, l'ABEO convie tous les enfants et amis de Bab el Oued à la grande rencontre annuelle au Grand St Jean, route de Rognes à Aix en Provence pour retrouver un trésor perdu à jamais: le véhicule de la mémoire collective du quartier. Auguste Robinet dit "Musette " avec l'inénarrable histoire des amours de Cagayous, Edmond Brua dans la célèbre "Parodie du Cid", plus tard "la Famille Hernandez" et récemment Roland Bacri,ont donné leurs lettres de noblesse à cette richesse perdue. Mais de quel trésor s'agit-il ? De châteaux ou de palais ? D'ors ou de pierres précieuses ? Non ! bien plus encore que les fortunes du CAC 40; il s'agit: du parler et de l'accent du peuple de Bab el Oued, un patrimoine commun qui s'héritait sans droit de succession(déjà) et qui avait l'avantage inestimable de nous faire appartenir à une même et belle famille. Cette langue et cet accent singuliers, étaient précurseurs de la technique du camescope et l'ancêtre de la vidéo actuelle; en plus du son, avec une verve souvent tonitruante, ils communiquaient l'image vivante de la pensée. Dès l'école, nos maîtres nous gratifiaient d'un spectacle formateur où le verbe et les mains nous expliquaient l'abscisse et l'ordonnée, le plus et le moins, la révolte ou la soumission. Pour se faire comprendre, il fallait convaincre, et la meilleure manière était l'utilisation de symbole ou de la métaphore la plus percutante accompagné de la gestuelle d'un chef d'orchestre symphonique. " J'vais t'en donner une, que le mur y va t'en donner une autre". Notre parler était fortement imprégné du "pataouète" et du "sabir" et utilisait des mots et expressions uniques mais compris de tout le monde comme une langue universelle. Alors que les langues régionales ou patois ne se comprennent que des initiés( le breton,le basque ou le provençal par ex.) C'était une sorte de tramway de la pensée comme dans nos anciens trams des T.A. ou des C.F.R.A. à Alger: bourré de Français, d'Arabes, d'Italiens, d'Espagnols, juifs, musulmans, chrétiens ou pas. Un mélange extraordinaire s'empruntant des néologismes, des tournures, des constructions de de phrases typiques, des insultes de langage parlé avec gestes appropriés à l'appui dont le summum était"le bras d'honneur", des vocables télégraphiques(téléphone arabe ou français) et des syntaxes exubérantes bien méditerranéennes. Une langue de tour de babel- oued, quoi! Notre parler se percevait comme une langue filmée en technicolor, jamais en noir et blanc. Elle permettait de monter un spot visuel traduisant au mieux son idée. Tous les sujets de conversation étaient abordés avec le souci de remporter le festival de Cannes; alors vous imaginez les plans, les coupes, les montages dans l'improvisation pour convaincre un interlocuteur surtout lorsqu'il était de mauvaise foi. Nos scénarios traitaient surtout de la vie humble que nous menions sans prétention et qui allait du tragique au comique, avec une propension à la dérision qui certainement était le contrepoids aux origines modestes des acteurs sans cachet que nous étions. Souvenons-nous: lorsqu'un enfant s'agite tout le temps, vous lui dites:"Sébastien,attention!tu vas salir ta culotte neuve!" Mais nous, culotte neuve ou pas, on nous disait quand on était petits et avec l'accent:" C'est ça mon fils, pourris-toi bien, ta mère elle f'ra la bonne". Autre expression entendue aujour'hui:"ça rentre par une oreille, et ça me ressort par l'autre". Nous on aurait dit:"Aoua ? ça m'en touche une sans remuer l'autre". Le 27 mai, les platanes centenaires du Grand St Jean se transformeront en pins maritimes de Sidi Ferruch et, tous ensemble, le cheveu blanchi, nous retrouverons pour quelques heures notre langue et notre accent. En attendant, pour vous remettre le goût et le verbe de nos anciens à la bouche, je vous livre quelques mots et expressions de notre beau quartier de Bab el Oued. Il n'est pas interdit d'enrichir ce lexique. A vos mémoires pour retrouver la parole perdue... caboute(entété), boire une traguette(boire un petit coup),colbate(estropié),falampo(hypocrite),tcheklala(paroles en l'air),stougniade(demeuré),fartasse ou calbo(chauve),falso(faux jeton),bousnica(petit),raplo(petit costaud),taper cao ou faire mancaora(manquer l'école sans raison),taper la mata(surveiller),cul en popa(grosses fesses),faire les oursins(pêcher les oursins),faire l'avenue(promener),un taquet ou une botcha ou une calbote(coup de poing),baroufa(dispute),zoubia(mauvais ou ordures),niquer le beigner(se faire avoir),ouallioune( enfant désoeuvré),tape cinq(joyeuse complicité),laouère(problème de vue),bitch laouère(complètement aveugle),bafane(coup de vent),kaouette(rapporteur),avoir un ouaille(avoir un problème),ouffa(fâché),tchoutch(idiot),kilo(ivrogne),goffa(trou),taper la paille(flirter),y mange pas pour pas chier(radin),slougui(grand et maigre),estokafich(maigrelet),rébolica(révolution),rabia(colère),bomboya(bosse),gangui(grand),mange ta main et garde l'autre pour demain(réponse d'une mère à son enfant qui réclame à manger),talon haut,talon bas(boiteux),un oeil qui mange les zalabias,et l'autre qui fait la mata ou bien un oeil qui joue au billard et l'autre qui marque les points(yeux qui louchent),aller chez roubi( être interné),galouffa(fourrière des chiens errants),éyou les cornes( moquerie entre enfants),la banque elle est fermée( réponse d'une mère à son enfant qui réclame des sous),ayou sioumbé( pour se donner du courage en plongeant d'un rocher),glavio(crachat),gazouz(limonade),bab el oued-bab azzoun(se disait en suivant des fesses se dandinant),maboul ou badjoc ou locco(fou à lier),barakette(fini),bovo ou babao(simple d'esprit),gamate(celui qui échoue ou perd au jeu),mira(regardes),zouzghef(paroles incompréhensibles ou quiproquo),pastéra(barque évasée et larges), avoir le cul comme une pastéra(avoir un gros cul),tchatche(le bagou),une figue à l'oeil(facilement),une caille(une fille),bloffer(mentir),flouss(argent),spardénia(espadrille ou club de foot SCA),la figua de ta ouélla(insulte),la mort de tes osses(insulte sympathique), la rascasse de tes morts(insulte diffamante),ouallou(rien ou pas du tout),crie doucement( parler calmement),gavatcho(vagabond),zimbrèque(embrouille),faire tchouffa( échouer),tiens zbouba(tu peux toujours réver),tchaleff(sornette),taper une pantcha(plonger sur le ventre),andar et venir(aller et venir),moutchou(épicier mozabite),timiniék(histoire pas très claire),timiniekologie(science de créer des histoires pas très claires),t'y es un fourachaux(bon à rien),tchisspoune ou gaziste(buveur invétéré),engatsé(entété),sarracqué(volé),côte de la bassetta(désigne une rue pentue),hamdoullah(se dit après un rot),boudjadi de la montagne(sans savoir vivre),avec une figue à l'oeil et un bras attaché(facilement),cinq dans tes yeux(retourner un sort),porter le schkaart( porter la guigne),kaoued(malin ou vicieux),coulot(pédérastre),taper un jeton(regarder sous les jupes),se taper la cassouella( faire un bon repas ou faire la fête),sousto(rancune),faire scappa(se sauver),faire des mitchs(partager),mitch-mitch(moitié-moitié).