Le : 03/03/2014 09:05
Bonjour à vous tous, concitoyens et anciens du plus beau quartier du monde, celui de notre enfance. Il me prend de temps en temps un brin de nostalgie qui m'oblige à écrire sans prétention aucune des mots venant du cœur au sujet de notre Bab el Oued. En voici un
Les bancs du square Guillemin
À l’occasion des deux pèlerinages ou retour à la terre natale que j’ai effectué chez nous à Bab el oued en 2007 et 2009, j’ai pu me rendre compte que l’état général des anciennes bâtisses du quartier, comme des infrastructures en général. Elles étaient plutôt défaillantes. Un manque d’entretien évident me fait penser que ces constructions ne tiendront pas encore des décennies au vu de certaines façades d’immeubles délabrées comme également leurs entrées donnant accès aux cages d’escaliers. Malgré tout il en reste un certain cachet.
Ces constructions avaient été faites avec amour par des ouvriers émigrés d’Espagne, d’Italie ou de l’ile de Malte et avec le concours des indigènes, qui allaient occuper ces logements par la suite puisque ce quartier était habité en majorité par des ouvriers. Ces premières constructions, dont une partie a été engouffrée par la coulée de boue descendant de la colline de Bouzaréah en 2001 et une autre, en prévision de démolition, ont dû débuter vers la fin du XIXème. C’est notre quartier, celui de la Cantéra c’est à dire ces immeubles non loin de la fameuse carrière Jaubert, celle qui a fourni l’ensemble des pierres destinées à l’érection d’une grande partie des bâtisses de la ville d’Alger.
Au début du XXème siècle, ces bâtisseurs ont surtout œuvré aux constructions allant de la place du lycée Bugeaud vers les Trois Horloges. Il me semble que cette partie du quartier de Bab el oued est relativement plus récente, ces constructions ont moins souffert du temps qui passe et du manque flagrant d’entretien. Au centre de ce secteur a été érigé en son temps, sur le souhait de l’épouse de Napoléon III, je crois, un grand jardin implanté au cœur d’un boulevard partant de la plage de Padovani et, s’étalant en montant jusqu’au tournant de la rampe Vallée.
À notre époque on le nommait « square Guillemin », mais à sa construction il devait être nommait boulevard général Farre. À l’intérieur de ce jardin, le long des allées serpentant en montant de la rue Montaigne vers la cité des Eucalyptus, avaient été implantés des bancs de pierre et de béton. Ils ont une particularité : leur assise est recouverte d’une belle mosaïque représentant les initiales de la ville d’Alger, en l’occurrence : V.A. de couleur bleue sur fond marron. Dès l’entrée de ce jardin, m’est venu de suite à l’esprit la photo où j’avais été pris l’été 1961 assis sur un de ces bancs dans la partie montante du jardin. J’avais encore en tête cette photo noir et blanc quand je me suis présenté devant un de ces bancs et je me revoyais là, assis avec mon pantalon blanc et ma chemise de même couleur, manches retroussées et col bien ouvert, à la zazou quoi ! Et les petits mocassins de forme italienne également blancs très à la mode en ce temps-là.
La végétation alentour avec ses cactus, ses plantes aromatiques ou grasses, ses arbustes de la région méditerranéenne, ne trahissait pas du tout la situation géographique de ce quartier. Nous sommes bien en Afrique du nord, face à la Méditerranée !
Il est vrai qu’après 45 ans d’absence, loin de ce quartier, les souvenirs des endroits que l’on fréquentait souvent à cette époque se déforment. Avec le temps on a tendance à imaginer ces endroits beaucoup plus grands, beaucoup plus large qu’en réalité. J’en ai eu la preuve en arpentant cette allée conçue en lacet pour atteindre le haut de ce jardin. Comme je le dis, je m’imaginais cette allée beaucoup plus large et mieux entretenue mais là, pour ce qui est de l’entretien, ce n’est pas de l’ordre de l’imaginaire mais bien de la réalité malheureusement. Peu ou pas d’entretien de voirie en général et encore moins au niveau de la propreté. Je ne m’attarderai pas sur le sujet. On peut également accéder au haut de ce jardin par deux grands escaliers situés de chaque côté de ce jardin montant mais, bien évidemment, il est plus agréable d’emprunter l’intérieur du jardin pour le plaisir des yeux, d’une part le cheminement est plus intéressant et d’autre part il nous permet d’avoir une vue sur Padovani et la mer. Un panorama qui vous marque à jamais! Inoubliable, quoi !
De cet endroit on peut apercevoir la partie basse de ce jardin, celle qui est comprise entre l’avenue de la Bouzaréah et l’avenue Malakoff. D’autres bancs y sont implantés dans cette partie basse mais ils n’ont pas la même élégance que ceux du haut. Certes ils sont tout aussi confortables mais ils ne sont pas agrémentés de mosaïques sur le dessus. Avant 1962, cette partie du jardin était divisée en deux parties, je crois, sur deux niveaux puisque nous sommes toujours sur une dénivellation. Ces deux parties étaient accessibles l’une à l’autre par une volée d’escaliers. Chacune de ces deux parties étaient cernées d’un petit muret surmonté d’une assise qui servait de banc et permettait aux mamans, tout en étant bien installées pour papoter entre elles, de surveiller leur progéniture qui se défoulait entre eux ou bien tournait sur le manège installé ici à longueur d’année, ce qui faisait la joie non pas des parents mais des tout petits.
En été ou quand il n’y avait pas d’école, dans les années 50, avec ma mère mais plus souvent avec ma tante qui était femme au foyer et mes deux cousins : José et Pierre-Jean nous passions des après midi à nous chamailler dans cette partie basse du jardin. C’était un endroit très fréquenté par les enfants des beaux immeubles environnant, on s’en faisait des copains d’un jour.
À l’heure du gouter, on avait le droit à une pièce de 100 sous pour s’acheter, au marchand ambulant, une part de calentita, sorte de tarte salée à la farine de pois chiche que l’on nomme dans le sud de la France de la « socca ou cade ». Après être passé chez le boulanger, récuper sa plaque de calentita cuite, ce marchand l’installait sur des tréteaux dans le jardin et pour attirer le chaland, il cognait son couteau sur le bord de la plaque par petits coups successifs en criant : « calentita,calentita ! ». On lui remettait la pièce de 100 sous et lui nous tendait le morceau de calentita enveloppé dans du papier journal, eh oui, c’était notre façon à nous de recycler ce papier entre autres façons puisqu’on l’utilisait également aux toilettes et on n’en est pas mort!
En 2009, quand je suis retourné pour la dernière fois, une grande partie des infrastructures de ce jardin existait encore mais la négligence des pouvoirs publics…. Enfin ! J’espère y retourner encore une fois (avec mon fils cette fois-ci) afin de remarcher sur les pas que j’ai pu faire dans ma jeunesse et me redire : c’est là que je suis né, c’est là que j’ai passé les meilleurs moments de ma jeunesse!