Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Lucienne BEURRIER

Momo ton dernier mail date du 29/11 dans lequel tu me souhaitais Mazal Tov pour la Bar Mitsvah de mon petit fils en Israël.

Je rentre ce matin et je voulais reprendre le cours normal de mes occupations. Un coup de fil va changer ce déroulement. J'apprends la disparition brutale d'un Ami. Cet Ami c'était l'Ami de Tous, qui ne peut se prévaloir d'avoir un jour ou l'autre sur notre site, ne pas avoir eu un contact direct ou indirect avec Monsieur Mohamed Nemmas, notre MOMO, comme nous l'appelions familièrement. Cet être souriant, avec un petit mot gentil à chaque fois, très attaché à ses amis d'enfance, cet homme toujours prêt à rendre service sans demander rien en retour, que pour le simple plaisir de se rendre utile

J'ai fait ta connaissance sur notre site, et j'ai eu beaucoup de plaisir à parcourir tous tes écrits qui traduisaient si bien toute ta bonne volonté et tous tes efforts pour un rapprochement de tous les enfants de Bab El Oued.

Quel bel accueil tu nous a réservé lors de notre voyage en mai 2006 en Algérie. Ce fût une semaine merveilleuse avec Zakia, Didinne, Racim, Moktar, etc.... que du bonheur ! Combien vous nous avez serré dans vos bras, on était tous très heureux de nous retrouver et ce ne fut que des larmes de bonheur. Vous nous avez escorté au cimetière, dans notre quartier, dans nos maisons, dans nos écoles, nous faisant redécouvrir toutes ses senteurs oubliées mais combien chères dans nos coeurs.

Depuis on correspondait, on se téléphonait régulièrement, on s'est revu à deux reprises en France, je lisais avec toujours autant de plaisir et de fierté tous tes écrits sur notre site.

A plusieurs reprises je t'ai dit ''sème tes graines, avec des hommes comme toi, l'avenir ne me fait pas peur, les peuples en guerre vont poser les armes, pour une planète apaisée et plus fraternelle.

Je te disais également ''ménage ton coeur, arrête de courir dans tous les sens, fais attention à ta santé, on a besoin de toi''

Le livre que tu m'as offert et dédicacé je vais le garder précieusement.

Je ferme les yeux et je revois ton sourire éclatant, je ne peux pas croire que je ne te reverrai plus, aurais-je le courage et l'envie de retourner au Pays si tu n'es pas là pour m'accueillir ?

Momo je n'aurai jamais cru que tu auras pû me faire verser des larmes amères.

Momo tu vas nous manquer, tu es et tu seras toujours une personne unique.

M'Nera, Dalila, Soraya et Amine nous partageons votre douleur.

Au revoir Momo, repose en paix et veille de la Haut sur ta petite famille, surveille aussi que notre site continue son travail de soudure et de fraternité entre tous les enfants de Bab El Oued.

En terminant,j'ai envie de vous partager un texte que j'ai trouvé mais que Momo aurait pû lui même écrire. C'est comme un testament qu'il nous laisse aujourd'hui :

'' Je désirerais - et cela très ardemment - que mon départ ne soit pas pour ceux que j'aime une souffrance Je voudrais qu'il ne fût pas pour eux une cause de regrets, de lamentations, de larmes J'aimerais que ma femme, mes enfants, mes amis, pensent à moi comme à quelqu'un qui les a beaucoup, tendrement aimés, et qui les aime encore, et est simplement parti un peu avant eux pour le pays de vie, de lumière, de paix et d'amour où il les attend. Que leur vie terrestre continue tranquillement, paisiblement, jusqu'au jour où pour eux aussi, la porte s'ouvrira''

IN CHALLAH

* Etoile

Sur le Quai de la Vie, tout au bout de l'année, le TVG du temps ... de plus en plus vite passe. Emportant avec lui de toutes nos journées , nos peines et nos joies, souvenirs qu'on ressasse ... Il traverse mon Pays au bord de la rupture; Je voudrais lui donner en gage d'amitiée, mes désirs profonds ... et ... conjuguer au futur, et ce pour très longtemps le joli verbe "AIMER" Le dernier grain de sable tombé du sablier ravive mes pensées ... au soir de cette Année ... Et vous présenter comme une ritournelle tous mes meilleurs souhaits pour cette Année nouvelle ! Que la joie, le bonheur ... et bien sûr la santé fleurissent en 2008 toute votre maisonnée ...! Le temps passe vraiment trop vite à cette horloge de la Vie, pas le temps de se retourner que voilà déjà la fin de l'année. C'est pourquoi mes plus gros bisous sont joints à tous, Joyeuses Fête * etoile

Pierre-Emile BISBAL

La Loubia

Mes parents sont partis à une répétition de la chorale Jean-Claude. Ce soir je mange seul avec ma grand-mère Ascencion. Depuis le début de l’après-midi elle s’affaire dans sa cuisine, mais j’ai déjà deviné ce que nous allons manger car, hier je l’ai vu mettre les gros haricots blancs à tremper. En plus, tout à l’heure, j’ai entendu le bruit du pilon dans le mortier de bois pour écraser l’ail, le kemoun, le poivre rouge et le clou de girofle. Les odeurs de cuisson qui filtrent sous la porte fermée du royaume de ma grand-mère confirment mon pronostic. Elle fait de la Loubia. Je me régale par avance et, pour oublier le temps, je me plonge dans les aventures dessinées de Miki le Ranger du Texas.

-« C’est prêt, mets la table ! » a dit mémé à travers la porte. J’ai lâchement abandonné Miki et j’ai mis le couvert. Hypocritement, j’ai demandé : « qu’est-ce qu’il y à manger ? » Elle allait me répondre quand on a sonné à la porte. C’est mon oncle, son fils, le frère de ma mère. Au dessus de tous ces titres c’est surtout mon complice. Il me ballade sur sa vespa, il m’emmène pécher au port, sur les blocs, il me traîne chez Quesada le garagiste et parfois on va voir ses copines, mais ça je ne dois pas en parler. Avec lui je n’ai pas neuf ans : je suis un grand. Il travaille de nuit à l’Echo d’Alger, à l’imprimerie de journal. Il est linotypiste

-« Maman, ça sent bon ! Tu as fait de la loubia ? Je m’invite ! » Il passe ses bras autour des épaules de ma grand-mère et l’embrasse doucement. Bien sûr qu’il peut s’inviter, mémé cuisine toujours pour cinquante. Alors que j’allais prendre une troisième assiette, mon oncle m’a stoppé. –«Pierre-Emile, Mets des bols ! la loubia ça ce mange dans des bols, comme chez Maklouf. » C’est mon oncle tout craché il met de la fantaisie partout. Le faitout fumant est posé sur grosse assiette renversée qui sert de dessous de plat. Ma grand-mère nous sert pendant que mon oncle m’explique que Maklouf c’est un restaurant ou plutôt une gargote, ou l’on sert la meilleure loubia d’Alger. Il promet de m’y emmener un jour. Je ne comprends pas très bien ce qu’est une gargote, mais je lâche un « oui » enthousiaste. Je déguste ma loubia dans mon bol. C’est vrai que c’est meilleur, différent et plus pratique. La couleur est plus rouge. On peut bien caler les gros haricots contre la paroi du bol et les faire basculer dans la cuillère. Je trouve que le fumet du plat est plus concentré. La bonne odeur du kemoun monte comme d’une cheminée. En douce, quand ma grand-mère part dans la cuisine, mon oncle parsème ma ration de quelques gouttes d’huile « felfel ». C’est un délice supplémentaire de sentir sur ma langue et contre le palais les attaques rugueuses du piment. Je m’étouffe un peu, mon oncle rit et me fait un « tape cinq ». Je suis heureux devant mon bol, avec mes yeux qui pleurent, la bouche en feu et ce fou rire qui nous secoue. Mémé revient et devine ce qui se passe. « Qui c’est le plus petit des deux ? » demande-t-elle à mon oncle en essayant de faire celle qui est en colère. On rit tous les trois.

Le repas fini, mon oncle s’est levé, ma grand-mère l’a imité. – « elle était "taïba" ta loubia » a-t-il dit à mémé. Elle a un peu baissé la tête, elle a fait sa modeste, mais moi je sais qu’elle adore qu’on la complimente sur sa cuisine. Mon oncle nous a dit au revoir et s’est engouffré dans l’escalier. Je suis vite allé au balcon de la salle de séjour qui donne sur l’avenue de la Bouzaréah. Je crie « Tonton ! » et j’agite le bras. Il monte sur son scooter. Il me rend mon salut et part à son travail.

Je ne suis jamais allé manger la loubia chez Maklouf, la vie (et ce que les hommes en font) en a décidé autrement. Cinquante ans après, quand je repense à cette soirée, je me dis que c’est tous ces instants de bonheur simple qui m’ont construit. J’en suis redevable à tous ceux qui les ont mis en œuvre. Leur souvenir est tatoué dans mon cœur et dans mon âme.

André TRIVES

LES PARDALES DE LA CANTERA

Il y a des mots de notre langage disparus à jamais; ils demeurent enfouis dans une mémoire endormie. Mais il suffit d'un bruit et d'une écoute sentimentale pour qu'ils ressurgissent immédiatement et vous restituent des moments de vie passée intacts de vérité.

Je longeais le port de ma ville d'exil, le vent d'ouest claquait les haubans des bateaux amarrés le long du quai; comme à l'accoutumée je m'apprêtais à vivre des instants de sérénité à respirer le parfum iodé de la mer. Soudain passant à proximité d'une place arborée, j'ai perçu le chant d'un oiseau qui se distinguait du brouhaha de la rue. Mon attention fut complètement extirpée du présent, je n'étais plus dans mes baskets, je n'étais plus ici, j'étais à nouveau de là-bas, j'étais transporté à Bab el Oued dans une époque d'insouciance et d'exaltation comme seuls les enfants savent cultiver.

Un mot a jailli en moi pour désigner l'auteur de cette mélodie saccadée, ce n'était pas le mot "oiseau", mais "pardale", le signifiant en Valencien, la langue de mes grands parents originaires de la province de Valence en Espagne et venus s'installer dans le quartier vers 1910. Le travail était commencé, les douleurs se faisaient de plus en plus pressantes, l'accouchement de ma mémoire se déroulait bien malgré moi entre la beauté de la mer et les bruits métalliques de la ville. Et les mots qui racontent, décrivent ou transmettent l'histoire d'une vie étaient là comme avant: "pardalettes"(petis oiseaux), "probrette" (le pauvre), "tiquette" (petit), "qué vols ? " (que veux-tu ?), "bona nit" (bonne nuit), "la lumia sa paga" ( la lumière est éteinte), "no ténies de conichimint" (tu n'a pas d'intelligence), "esta gitate"(il est couché), "gordo" (gros), "salute y força en el canoute" (salut et force dans le ...), etc... etc...

Ces ibériques apportèrent à notre quartier une coutume méditerranéenne agréable et sympathique qui traduisait une grande sensiblité et une forme de générosité qui ravissaient tout le monde: qui ne possédait pas à sa fenêtre ou à son balcon une cage avec des oiseaux que l'on entretenait amoureusement ? C'était une manière de créer de la gaîté et du plaisir autour de soi, de les partager avec ses voisins; et tous en avaient bien besoin.

A la fin d'une journée harassante à exercer les métiers du batiment, à extraire des blocs de chaux aux carrières Jaubert ou à genoux dans les champs ou sur les routes avec un mouchoir à quatre noeuds sur la tête, les mains souvent meurtries, le regard brisé de fatigue sur un visage noirci par un soleil impitoyable, ils retrouvaient au retour le soir dans leur appartement exigus un peu d'humanité en s'occupant des soins quotidiens qu'ils accordaient aux couples de canaris, de serins ou de chardonnerets.

Nettoyer la sole de zinc couverte des fientes, changer l'eau de l'abreuvoir, fixer aux barreaux un os de sépia pour faciliter l'affûtage du bec, préparer le nid pour les prochaines naissances, compléter la mangeoire de millet acheté chez Salord rue de l'Alma, proche du débit de tabac de notre ami Momo, passer énergiquement un clou rouillé et humide sous le cou de l'animal pour soigner un goitre, organiser les accouplements en cherchant dans le voisinage une femelle reconnue pour ses qualités de chant. Oui, c'était un beau moment d'humanité qui s'échangeait entre l'homme en liberté dans une vie totalement confisquée par les contraintes, et l'oiseau privé de liberté sifflotant chaque jour sa joie de vivre.

Pour tous ces ornithologues d'occasion mais passionnés, c'était une façon de mettre la campagne à sa fenêtre afin de profiter et de faire profiter du chant d'allégresse de nos pardalettes. Elle venait compléter le phonographe à manivelle qui dispensait aux travers des fenêtres et des portes toujours ouvertes, les airs de Carmen, de la Belle de Cadix ou les chants du ténor Caruso. Ainsi la cantéra résonnait de ces petits bonheurs qui se partagaient entre tous. En 1954, vers 6h du matin tout Bab el Oued fut réveillé en sursaut par le tintamarre des pardales pris de panique dans leur cage. Personne ne comprenait la raison de cette frayeur qui s'était emparée subitement de nos petits volatiles. Quelques minutes plus tard, je dis bien quelques minutes plus tard, nos maison dansaient comme des quilles: nous vivions en direct le tremblement de terre d'Orléansville.

Aujourd'hui, plus de cage à nos fenêtres, plus d'oiseaux à nos balcons pour colporter de maison en maison la joie et la gaîté qui se font si rare dans nos coeurs. Il me revient une ritournelle que nos aïeux entonnaient à la fin des repas:"

"La ouela fa roz sin séba, el ouelo dit que no vol, la ouela salsa li péga, el ouelo li tranca le pérol".

Les pardales de la cantéra se sont tus avec le vent qui s'énervait sur la rade, le clapotis des vagues sur la coque des bateaux me rappelait que le temps passe inexorablement, ma mémoire endormie s'est figée de nouveau.

JE DEDIE CE MOMENT DE VIE A MOHAMED NEMMAS DIT MOMO, CET AMI, CE FRERE ALGERIEN DEVENU UNE ETOILE QUI BRILLE A JAMAIS DANS LE CIEL DE BAB EL OUED.

BLOT Rachel Josette

Il était une fois un enfant de Bab El Oued . Il naît en 1946 dans cette cité bercée par les flots d'un bleu d'une rare pureté . Il y avait le stade Marcel Cerdan, la plage Padovani et tant d'autres endroits magiques . Comment se nommait cet enfant ? Mohamed Nemmas, dit Momo ! Un jour, il s'aperçoit que certains de ses voisins tant aimés ne sont plus là . Il comprend que ce qui vient de se passer n'est pas du tout en rapport avec ses sentiments à lui sur la personne humaine, sur le voisinage, sur la camaraderie . Et cet enfant va, pendant de longues années vivre sa vie, en Algérie mais en gardant au fond du coeur, le souvenir de sa cité d'Antan . Alors quand en ouvrant son ordinateur il clique sur un site Pied Noir, géré par Christian Timoner, il pleure, il pleure un bon moment . Etait-ce possible . Il pourra à nouveau dialoguer avec les amis d'enfance ?

ça, c'est le début de l'histoire de Momo parce que nous saurons ensuite à quel point nous faisions partie de sa vie, les bons les coléreux les méchants, les gentils les naïfs, quelle importantce . Tu es de Bab El Oued ? Alors tu es de chez moi, pensait-il en lisant certains messages du site .

Salut l'artiste ! Salut l'ami ! salut notre frère . et à bientôt quelques part dans l'univers

André TRIVES

Momo, mon ami, mon frère,

Est-ce que tu te rends compte du nombre de messages qui défilent sur le site pour expliquer la stupeur et le désarroi que tu viens de provoquer avec ce zouzguef que tu nous a planté dans le coeur? Tu nous quittes alors que tu avais tant de choses à nous apporter; tu nous laisses seuls face à la bétise et à l'intolérance que tu combattais. C'était un immense plaisir de lire tes pensées profondément humaines et tes poèmes plein d'espérance qui soulignaient l'amour que tu portais à tes semblables et à ton pays.

Et si ton caractère était toujours passionné c'était uniquement pour affirmer que notre vie en commun d'avant était partagée de respect et d'affection entre tous; que Bab el Oued était un creuset d'amitiés sincères.

Ah mon frère! que de regrets de ne t'avoir connu si peu, sauf que ce "si peu" était une leçon de fraternité. Ta dernière intervention sur le site le 29 novembre à 18 h 07 m'avait profondément touché.

Madre mia, comme tu disait... ne t'inquiètes pas nous poursuivrons la voie que tu avais tracé.

Avec Lyas, vous serez désormais deux pour préparer notre arrivée parmi vous.

Salut l'ami ! Salut le berger de l'Amour.

Zakia CHENENNOU

MOMO le malheur de t'avoir perdu nous fera jamais oublier le bonheur de t'avoir connu

Il n'y a pas de mots pour exprimer à quel point nous sommes affligés par cette dure perte

Nous venons de revenir de chez la famille de MOMO ,sa femme et tous les siens vous remercient de vos messages de soutien en ces moments de grande peine

MOMO aimait ses amis_es ,un homme juste ,toujours pret à rendre service ,il aimait la vie ,mais tel que vous connaissez MOMO ,il vous dira :

Je suis passé seulement dans la piece à coté

je suis toujours moi ,vous étes toujours vous

ce que j'étais pour vous ,je le suis toujours

donnez moi le nom que vous m'avez toujours donné

parlez moi comme vous l'avez toujours fait

n'employez pas un ton différent

ne prenez pas un air solennel ou triste

continuez à rire ,de ce qui nous faisai rire ensemble

Priez ,souriez ,pensez à moi ,priez pour moi

Que mon nom soit prononcé comme il a toujours été

Sans emphase d'aucune sorte sans une trace d'ombre

La vie signifie ce q'elle a toujours été

Le fil n'est pas coupé ,pourquoi serais_ je hors de vos pensées ?

Simplement parceque je suis hors de vue

Je ne suis pas loin ,juste de l'autre coté du chemin

Je suis simplement passé dans la chambre

MOMO REPOSES EN PAIX ,TU NOUS MANQUERAS

A DIEU NOUS APPARTENONS A LUI NOUS RETOURNONS

Pierre-Emile BISBAL

Un départ

Mohamed Nemmas est parti. Dans cette singulière fraternité, construite sur l’amour du pays de notre naissance, il avait choisi de se placer dans le rang de ceux qui rassemblent. Avec une lumineuse obstination il désignait systématiquement les chemins ou les bonnes volontés peuvent se rencontrer. Il avait certainement compris qu’enlever le ressentiment du fardeau que l’on porte nous allège d’un poids qui nous empêche de nous tenir droit. Etre droit, ce n’est pas oublier, ce n’est pas se corrompre, ce n’est pas une désertion, ce n’est pas une trahison, ce n’est pas faire allégeance, ce n’est pas renoncer aux mémoires de nos père, ce n’est pas effacer nos chagrins. Non c’est simplement la posture adéquate pour envisager l’avenir.

Il m’avait adressé le 11 novembre 2007 un texte qui se terminait ainsi

« Si la vie nous abandonne

Il restera l’aube

Pour la génération des jeunes »

Mohamed je suis certain que tu seras toujours présent dans la lumière de l’Aube.

J’adresse mes plus sincères condoléances à toute la famille de Mohamed.

André TRIVES

LES ODEURS ET LES SAVEURS DE MON ENFANCE

S'il est bien une mémoire qui demeure intacte et vous revient tout le temps comme un soleil qui vous caresse de plaisir chaque printemps, c'est celle qui se constitue des odeurs et saveurs de son enfance. Et être un enfant de Bab el Oued, le quartier qui a inventé le mot "simplicité", c'était être curieux de tout, écouter l'expérience des anciens, étreindre à bras le corps l'amitié des copains, sentir jusqu'à l'enivrement, goûter aux plaisirs sans modération; en un mot mettre à profit nos cinq sens pour découvrir, apprendre et comprendre la vie.

Chaque jour, dès le matin avec le marché qui installait ses étals et les commerces qui levaient leur rideau de fer, une atmosphère olfactive puissante se répandait dans les rues: c'était l'odeur du pain chaud et des plaques de calentita et de pizza au sortir des fournils, des mounas brûlantes recouvertes d'un linge que nos mamans ramenaient de la boulangerie, du vin en tonneau que l'on tirait au détail, des épices alignées en tas multicolores et des barils de salaison du"moutchou", des effluves irritantes de la naphtaline, des cristaux de soude et de l'alcool à brûler vendus en vrac et à l'air libre, du camphre et de l'alcool à 90° embaumant la pharmacie de monsieur Marcel, du " ça sent bon"(eau de cologne) vaporisée copieusement dans les salons de coiffure, des parfums et eaux de toilette de la fabrique Zaoui endimanchant les rues Normandie et Cardinal Verdier, des amandes s'habillant de sucre blanc dans les marmites rotatives de la fabrique de dragées rue Rochambeau, des émanations fortes d'alcool et d'anisette imprégnant les alentours des distilleries Gras et Phoenix, du tabac à fumer, à priser ou à chiquer des manufactures Bastos ou Mélia, des teintures acres des cordonniers, des fleurs qui décoraient les étals de la place de l'Alma, des plumes virevoltantes des volailles criant leur agonie dans les mains expertes de Kader, de la motte de "smen" et du petit lait de Nia dessinant une moustache blanche à ses clients assoiffés, sans oublier Blanchette avec sa toque de chef maniant une longue tige de fer pour cuire ses beignets tournoyants dans l'huile frissonante.

Ainsi, je pouvais retrouver mon chemin les yeux fermés.

Mais c'était en soirée que des senteurs alléchantes envahissaient la rue; elles provenaient des bars qui se lançaient un véritable concours de KEMIA pour attirer une clientèle devenue exigeante. Elle était servie dans des assiettées bien remplies que l'on appelait "à la tonne" et on y dégustait: des fritures de sardines, petits rougets, merlans, mange-tout, calamars nature ou en beignets, sépia au noir, coquillages crus ou cuits, fêves au coumoune, tramous, bliblis, cacahuètes, salades de tomates, de pommes de terre, de concombres, de pois chiches, olives cassées, poivrons et variantes au vinaigre. La tradition de la kémia était un fait de société unique au monde et l'on venait de très loin pour boire un coup à Bab el Oued où boire plusieurs coups se disait" tomber dans une embuscade". Enfin la particularité à remarquer c'est que toutes ces victuailles étaient gracieusement offertes, et nous les jeunes avec un crush ou une gazouz grenadine et une ventrée de kémia on allait voir en soirée un western au Marignan ou au Plazza le ventre apaisé.

Les rues sentaient la fête avec des odeurs appétissantes qui gagnaient les trottoirs des avenues des Consulats, de la Bouzaréa ou de la Bassetta: c'étaient les brochettes de ris et de coeur du réputé Guedj qui titillaient nos narines avec ses fumées qui faisaient saliver à cent mètres à la ronde, le hasban et la rate farcie de Pépète de la Grande Brasserie dont la cuisine était celle des mamans juives, la vanille et le citron du fameux créponé qui attiraient une foule de gourmands chez les fabricants de crèmes glacées tels Grosoli, Di Miglio, Roma-glace ou La Princesse, les kiosques à frites ou à beignets italiens étaient encerclés par une horde d'affamés, les gateaux au miel et aux amandes pilées nous faisaient vérifier le sens de l'expression"avoir l'eau à la bouche", le thé à la menthe servi dans la tradition au café de l'Etoile Blanche, sans oublier le vendeur à la sauvette de jasmin proposant des colliers de fleurs ou des petits bouquets que l'on plaçait derrière l'oreille.

Suivant les saisons, des carrioles à bras parcouraient les rues et nous gratifiaient de petits plaisirs comme seuls les gens simples en sont capables; alors la rue s'animait d'odeurs et de couleurs: les épis de maïs grillé sur un kanoun, les figues de barbarie que la marchand débarrassait habilement de la peau et des piquants et que l'on dégustait sur place, les jujubes vendus dans un cornet en papier, le vendeur de cacahuètes salées toutes chaudes dans son petit panier en raphia et chantant" cacahuètes, guermech..", sans oublier Tonette et sa corbeille d'oursins parfumée d'iode qu'il avait fait au Petit Bassin le matin même ( Chez nous on ne pêche pas les oursins; on les fait).

La joie était dans la rue. Comment oublier ces modestes marchands ambulants qui offraient ce spectacle des saveurs et aussi une façon de nous rendre la vie moins difficile: il y avait le vendeur de "kikilomètre" et son caramel enrubanné autour d'une canne en roseau, rameutant le quartier avec une trompette au son nasillard, faisant le délice des enfants. Le marchand d'oublis ajoutant une chance de gagner des oublis supplémentaires en nous faisant tourner une roue de loterie numérotée placée sur le couvercle du container en métal. L'été, c'était le glacier itinérant qui vendait une crème glacée qu'il formait en parallélépipède rectangle maintenu par deux gauffrettes. Il était la bête noire de notre directeur de l'école de la Place Lelièvre, Mr Nadal, qui lui reprochait l'hygiène de son procédé. Mais pour nous les enfants, c'était sucré donc délicieux; alors on criait à nos mères restées en étage:" Maannmaann ! lances-moi une pièce de vingt sous", et la réponse était fulgurante:" Mon fiiilllsss, la banque elle est fermée"

A la réflexion, ce ne sont pas les odeurs et les saveurs en tant que telles qui restent en moi, mais plutôt l'expression d'un mode de vie particulier adopté par tous depuis des générations. Un peuple nouveau était né, plein d'imagination et de débrouillardises; il se construisait goutte à goutte comme une puissante stalactite décorant le plafond d'une grotte souterraine, mais tout aussi fragile que le calcaire qui la compose. Ce petit peuple de gens simples et modestes croyait dans la pièce de la vie méditerranéenne qu'il jouait au quotidien dans le grand théatre de la rue à Bab el Oued; son enthousiasme le rendait-il aveugle? peut-être...mais une chose est sûre, il était l'addition des différences et s'enrichissait justement de la valeur de ces différences.

Henri CAZARO

J'ai trouvé ce témoignage troublant, une pensée pour nos disparus qui y ont cru jusqu'au bout...........

Mur des Disparus : recueillement à Perpignan

Le coeur serré par l'émotion, les plus proches parents de ceux dont le nom a été gravé dans le marbre du Mur des disparus ont laissé libre cours à leur détresse. Après 45 ans de silence, entre pudeur et cri du coeur, ils ont laissé leurs larmes dire ce que les mots sont impuissants à exprimer.

Cher papa. Je me souviendrai toujours de cette journée du 20 juin 1962. J'avais dix ans, tu en avais quarante..."

Cher papa : deux mots simples brisent le silence. Restent suspendus dans l'air, malgré les efforts d'une tramontane prête à les emporter au loin. Ébranlent ces corps jusque-là drapés dans une dignité douloureuse. Et finissent par distordre ces visages, qui s'étaient pourtant promis de rester forts.

L'histoire de ce petit garçon, écrivant à cette ombre qui a pour nom papa, c'est la leur. Celle de leur propre père, de leur mère. De leur grand-père ou de leur femme. De leur oncle, cousine, ami, fiancé. L'histoire de ce bout de leur vie dont ils se sentent amputés... "Nous ne saurons jamais si tu es mort, où, et comment, et si tu as souffert !" La voix se brise derrière le micro. Les larmes débordent des lunettes noires. Et même sous les couvertures de survie, seules taches d'or dans un océan de grisaille, on distingue clairement les reliefs que forment ces mains qui se serrent.

"Je m'étais promis de ne pas pleurer"

"Juin 1962... novembre 1956... avril 1962... printemps 1957... juillet 1962..." La litanie semble ne pas avoir de fin. Noms. Lieux. Dates. Âges. Pris au hasard d'une liste tissée de drames. Évocation de fantômes qui font tressaillir ceux qui n'ont cessé de penser à eux depuis quarante-cinq ans.

Il est temps, semblent dire les sanglots silencieux. Il est temps de pouvoir dire au revoir à autre chose qu'à un souvenir.

Sur son fauteuil, poussé doucement par sa femme, Boris répète, inlassablement. "Pour rien au monde... Pour rien au monde...". Pour rien au monde, il n'aurait manqué ce rendez-vous. Depuis que la maladie lui a fait élire ce fauteuil pour assise permanente, c'est son premier voyage. Un voyage de Lyon à Perpignan, dit-il. Ce qu'il ne dit pas, c'est que son voyage, il le poursuit jusqu'en Algérie, sur la route du souvenir. À l'époque où Boris courait sur d'autres rivages. "Aujourd'hui, j'aurais voulu être sur mes deux jambes. J'aurais dû être sur mes deux jambes", assène-t-il, comme pour dire qu'il s'est passé trop de temps. Josette a passé son doigt sur ce nom. Martinez. Comme pour le graver dans sa chair. Et son doigt s'est mis à trembler. Le tremblement a gagné tout son corps. "Je m'étais promis de ne pas pleurer", articule sa bouche derrière un rideau de larmes. Son père avait l'intention de rester. On lui avait dit qu'il pouvait rester. "Mais ils n'ont pas voulu de lui..." "Aujourd'hui, j'enterre mon père..."

Viviane est pétrifiée. Viviane n'est que larmes. Elle avait 17 ans, le jour où elle a vu son père pour la dernière fois. "Aujourd'hui, j'assiste enfin à son enterrement". Elle voudrait dire autre chose, Viviane la Marseillaise. Elle voudrait dire l'indicible. Et c'est dans un seul souffle qu'elle finit par dire comment sa quête de quarante-deux années a brutalement pris fin : "Le quai d'Orsay a fini par m'envoyer le rapport de la Croix-Rouge, sans un mot d'explication, sans précautions. Froidement. Disant que mon père a été égorgé et jeté dans le four d'un hammam..." Viviane s'écroule dans les bras d'Élise. Des larmes plein les yeux, Elise n'est pas seulement venue soutenir une amie. Élise est venue, comme elle dit, reprendre son identité. "J'avais quatre ans. Avec mon père, c'est mon enfance qu'on a volée. C'est mon identité qu'on a enterrée, pendant quarante-cinq ans ". Élise, elle aussi, a reçu le rapport de la Croix-Rouge. Son père aurait été vu vivant, un mois après sa disparition. "Et qu'est-ce qu'elle a fait pour lui, l'armée ? Hein, qu'est-ce qu'elle a fait ?" Dans ce petit bout de Perpignan, les yeux rougis par trop de larmes le disputent aux colonnes vertébrales raides de trop de pudeur.

Une pudeur que partagent Mohamed et Kader, venus simplement dire merci au nom de tous les harkis sans nom et sans sépulture. "Il ne faut pas oublier qu'on a été oubliés, disent-ils. Les harkis qui ont été honteusement abandonnés, c'étaient nos frères et nos soeurs".

Leurs frères et leurs soeurs. Les pères de Josette, de Viviane, d'Élise. L'oncle de Christiane, qui a disparu en revenant de l'enterrement de sa propre soeur. Les enfants sans parents, et les parents sans passé.

Hier, à Perpignan, les chemins de la douleur ont fini par croiser la longue route du souvenir.

Barbara Gorrand

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