Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Annie SALORT

A Antoine Billotta

LE PETIT DUC, qu'est ce que j'ai pu m'amuser dans tous les rayons, avec toutes les vendeuses, elles étaient toutes les copines de MA MERE qui tenait le magasin de photos

"CINE PHOTOS "un peu plus bas, juste après le Bar des Princes entre le Petit Duc Chaussures., tenu par la flamboyante rousse Solange Benzacken.

Je me souviens de certains noms des vendeuses, Il y avait la Belle Marianne qui avait été élue Miss Alger, qui tenait le rayon parfumerie, Il y avait Magguy et Gladys et Paulette Torres, au 1er étage qui étaient au rayon confection.Et d'autres encore dont j'ai oublié les noms.

Toutes ces demoiselles se retrouvaient, aprés le déjeuner, avant l'ouverture du Petit Duc, dans le magasin de MA MERE, et chacune racontait ses histoires d'amoureux.

Le Patron du Petit Duc s'appelait Albert STORA.

En face , il y avait un cercle privé, trés huppé, trés fermé, qui s'appelait "El Mansour", il faisait l'angle de la rue d'Isly et la Rue Henri Martin.

Lors de mon retour en 2006 avec les 7 nains, j'ai eu la joie, l'incommensurable bonheur de retourner à "CINE PHOTOS" qui est devenu un magasin de tissus. mais les rires, les voix, Solange, Marianne, Magguy, Gladys, Paulette et MA MERE étaient là,... jeunes, belles, radieuses, riant aux éclats de leur belles lèvres maquillées rouge "baiser".

Quelle émotion, que de larmes de bonheur, de faire ce flashback sur notre vie d'avant.

Peut-être que TA MAMAN venait raconter son histoire de flirt à "CINE PHOTOS" à RAYMONDE, MA MAMAN... et peut-être que là-haut elles en rient encore !

MERCI CHRISTIAN, que grace à ton site,pouvoir partager et revivre les annés de notre merveilleuse enfance la-bas ...

Je vous embrasse tous autant que je vous aime mes frères et soeurs de coeur.

Annie Salort

Jacqueline RIQUELME

Le restaurant qu´il y avait juste en face du cinéma Marignan, en montant les escaliers, s´appelait " Le Bar du Faubourg", mais il était plus connu, par "Chez Alex", car Alexandre Guedj et sa femme Léo (une belle blonde) en étaient les propriétaires. Leur kemia était sans compétence: escargots, mergez "cervelles Basses", brochettes et un succulent couscous faisaient le régal de leurs nombreux clients, car le samedi soir tout Bab-el-Oued était là pour déguster les spécialités que préparait Léo. Alexandre avait une façon très originale de baptiser tous ces les plats!!! Il y avait aussi " Zoiseau" un marchand de crevettes, oursins, moules et huitres, juste à côté. C´était de charmantes personnes. PLus tard, Les Guedj tenaient un restaurant à Nice,qui eut le même succès que celui de Bab.el.Oued, car Ils avaient fait découvrir notre fameuse "Kemia" ainsi que notre délicieuse cuisine Pieds-noirs aux Niçois.

Michel SUCH

De Daoud, sa jambe de bois, sa bicyclette et le pot de conserve fixé très astucieusement à l'une de ses pédales pour y coincer l'extrémité de son moignon de bois, bien entendu je m'en souviens. De ses enfants, frères, cousins qui logeaient dans l'arrière boutique, oui je m'en souviens. Des litres de "grésil" déversés dans les petits cabinets sous les fenêtres de la cuisine de Yolande et Marie-Paule, je m'en souviens aussi. La petite affiche que l'on pouvait lire en entrant dans l'épicerie de Daoud "A crédit pas un radis, au content toujours content " nous prouvait que Daoud avait de l'humour.Qui s'en souvient? Des larmes de mon cousin, à moitié maltais et mozabite, qui pleure parce qu'il vient de se faire traité de "sale moutchou", je m'en souviens encore. Nier l'identité de sa femme de ménage ou de son épicier c'est entrer dans le racisme ordinaire... Même mon chat, qui est une chatte, porte le jolie nom de Gala.

Michel

PS. Il suffisait de dire "pas bonne échappe" pour trouver l'apaisement.... Certains l'on dit.

Alfred LANGLOIS (Freddy)

Je me souviens de la GOUTTE DE LAIT, nous avons eu l'avantage d'y aller quelquefois, mon frère et moi, accompagnés de ma mère. Autant que je me souvienne les soeurs nous donnaient du lait à boire sur place et également pour emporter.

Ce devait etre dans les années 43 ou 44.

En restant sur ce coin de BEO, qui se souvient du fabricant de cages d'oiseaux (un tout petit artisan).

Son atelier se trouvait dans le passage à moitié goudronné et l'autre encaillassée, qui partait devant l'immeuble du 68 avenue de la Bouzaréa pour "descendre" sur la rue Léon Roches (passage uniquement praticable à pied). l me semble que ce monsieur était espagnol et tout le monde le surnommait : "EL TIO D'ELS PARDALETS".

Revenons face à la goutte de lait où nous trouvions, entre- autre : la boulangerie CLAPEZ, d'ou "sortaient" tous les jours d'énormes plaques de calentita posées sur un genre de poussette qu'un employé, ou un parent, de la boutique "promenait" dans tous le quartier.

A l'aide d'un couteau de peintre lui servant de moyen d'appel (en frappant sur les toles), et, également lui servant à découper les parts du succulent et brulant "gateau de farine de pois chiches". Dans le meme secteur se trouvait, également un "moutchou" dont la grande spécialité était " la construction" de magnifiques tours soit de tablettes de chocolat ou de boites de lait, enfin de tous produits "empilables". Enfin je citerai l'atelier/boutique du grand père CASAGRANDE, grand "SPARDEGNERO" parmi les grands.

Il vous fabriquait, en quelques heures de confortables et très solides espadrilles "sur mesure".

Mon frère et moi avions droit à une paire chacun tous les débuts d'été, espadrilles payées, exceptionnellement, par notre grand-mère maternelle, sans doute en souvenir de son pays d'origine ! S i je ne me trompe pas Mr Casagrande était le grand père de la famille, du meme nom, qui habitait à la rue Taine.

Toujours dans le coin et en descendant vers le marché, nous ne pouvons oublier le CAFE DE BARCELONE, haut lieu de l'apéro, de la kémia, de la ronda eu du six mora. Voilà j'ai fait le tour de ce petit bout de BEO, tout étant parti de la GOUTTE DE LAIT pour aboutir AU VERRE DE CRISTAL !

FREDDY

Pierre-Emile BISBAL

Rentrer à la nuit

Avec mes parents, ils nous arrivent de rentrer un peu tard de chez mes grands-parents paternels. Ils habitent au 5 rue Jean-Jaures à coté de la placette Lelièvre et il nous faut aller au 51 avenue de la Bouzaréah. Le plus terrible c’est de traverser la rue du marché toute vide et toute sombre. Le dernier brin de lumière c’est souvent le magasin de Khader. Deux ou trois personnes préparent les volailles qui seront vendues demain. Ils sont assis sur de hauts tabourets avec des grands tabliers. Ils plument les poules et les poulets et du duvet vole tout autour d’eux. Parfois on fait une halte pour passer une commande. Khader note ce qu’il nous faut dans un petit carnet qu’il range dans la poche de poitrine de sa salopette bleue. Je repars toujours avec une ou deux grandes plumes soyeuses.

Apres c’est la nuit, ou presque. Je tiens bien fermement la main de mon père et celle de ma mère. Quand il fait encore jour, il faut me rappeler à l’ordre car je cours devant essayant de trouver quelque chose afin de shooter dedans. Parfois, quand j’ai de la chance, le bâtiment de la pêcherie est ouvert. Je le traverse en courant pour le seul plaisir d’entendre raisonner mes pas sous la voûte. Mais le soir, très tard, je m’abstiens de divaguer. Je suis bien encadré par mes parents. C’est comme un rempart. Je surveille quand même les alentours. Les pistoleros mexicains, les tuniques rouges, les outlaws, tous ces bandits qui compliquent à plaisir la vie de mes héros de bandes dessinées. A l’époque on ne disait pas bandes dessinées mais « un petit livre ». Ces petits formats, en noir et blanc, imprimés sur un mauvais papier devenaient les passagers clandestins de nos cartables car nous nous les échangions dans la cour de récréation ou sur la placette après l’heure de la sortie. Pendant les vacances, quand il pleuvait ou quand la chaleur nous détournait du foot ou des interminables parties de « délivrance », on s’installait sous le kiosque, chacun apportait deux ou trois de ces modestes ouvrages et on se délectait des aventures de nos héros: Blek le Roc – Trappeur luttant contre les anglais avec l’aide du professeur Occultis et de Roddy ou Miki le Ranger du Texas avec ses compagnons : -Double-Rhum et le docteur Saignée.

Les bandits peuvent, à tout instant, déboucher de la pêcherie ou surgir de derrière les étals démontés et plaqués contre les murs. Dans l’ombre, ces armatures de bois ressemblent à de sinistres potences. Tout est bien trop calme. C’est un marché fantôme. Autour de nous le silence est percé par le bruit des talons de maman sur les pavés. Mes parents ne sont pas conscients du danger. Ils discutent comme si de rien n’était. La petite construction où l’on vend les beignets italiens est déjà visible dans la clarté des Trois Horloges. C’est comme un fortin dans la grande plaine du Far West. Nous y sommes. Une fois de plus les Apaches renégats, les pilleurs de banques et autres déserteurs de la cavalerie se sont tenus tranquilles. Ils n’ont pas osé affronter mon père qui est grand. Ils ont du se douter que, malgré sa taille légèrement plus petite, ma mère avait son caractère et que le combat serait rude. Ma fidèle escorte a dissuadé toute velléité d’une lâche embuscade. Nous sommes aux trois horloges. Je peux galoper devant. Je dépasse le poste de secours (la pharmacie) et le saloon où les cow-boys, après une dure journée à rassembler les troupeaux, boivent leurs anisettes du soir. Je fais quand même une halte devant l’entrée de notre immeuble. Courageux, mais pas téméraire, j’attends que mes parents me rejoignent. Notre petite entrée s’est métamorphosée en un énorme gouffre noir et je ne serai pas étonné que quelques desperados soient tapis dans l’ombre à mijoter un mauvais coup. Mes parents me précèdent, trouvent l’interrupteur. La minuterie se déclenche, la lumière jaillit mais ça ne va pas durer éternellement. Je m’élance dans la cage d’escalier au triple galop en frappant ma hanche pour stimuler mon cheval imaginaire. Pour bien souligner le suspens qui s’installe je chantonne un air de circonstance. Je débouche sur le pallier du quatrième étage. « Ho ! » dis-je en tirant les rennes de mon pur-sang. Je frappe. Ma grand-mère ouvre. Je lui demande de laisser les portes du fort ouvertes pour mon escorte. Plus exactement je lui dis que papa et maman sont dans les escaliers. Encore une mission réussie ! C’est bon de se faire un peu peur.

Robert VOIRIN

UN DIMANCHE AU BOULEVARD BRU

Dans les méandres du long fleuve de la mémoire si fidèle

qu'elle nous permet de garder notre histoire immortelle,

nous aurons toujours quelque chose d'Alger

qui nous replonge dans nos joies passées.

Une fois de plus cela se passe lors d'un dimanche, peut être d'avril,

mon père nous emmène en auto de l'autre côté de la ville

pour passer une journée en famille.

Nous prenons de la hauteur par la rue Mizon et la rampe Valée,

passons la caserne d'Orléans, les Tagarins sont maintenant tout près,

on en contourne le stade, et sur le boulevard du Télémly nous roulons un bon moment.

Que la route est agréable quand nous montons vers le Parc de Galland

que je connais pour avoir dévaler ses escaliers qui descendent majestueusement

au milieu de plans d'eau recouverts de nénuphars aux tons éclatants.

Nous longeons alors le parc luxuriant du Palais d'Eté, et un peu plus loin

on aperçoit l'Hôtel St Georges et son charmant jardin,

après, au niveau de la Maison de la Radio nous sommes tout près

du boulevard Bru où mon oncle Vincent, boulanger

tient sa boutique sur cette longue et jolie voie étalée

sur le flanc de la colline en direction de la Redoute et du Clos Salembier.

L'après midi nous partons en promenade,

j'en profite pour m'éclipser et partir seul en ballade,

je continue sur le boulevard au hasard puis je m'asseois sur un parapet,

et là je découvre pour la première fois le spectacle fascinant d'Alger

s'étalant à perte de vue devant moi comme nulle part ailleurs

dans une parfaite harmonie de formes et de couleurs .

Mon âme de jeune garçon a du mal à absorber tant de beautés

et en voyant s'étaler devant moi tous ces quartiers

je me dis quelle chance j'ai de pouvoir ainsi les admirer.

Soudain une jolie nymphe venant de je ne sais où me rejoint,

elle commence par me décrire le panorama comme une habituée du coin,

depuis le Ravin de la Femme Sauvage, dont elle me raconte la légende oubliée

de cette mère qui, folle de désespoir de n'avoir pu retrouver ses enfants égarés

vécut seule dans les bois et disparut à jamais.

Après le Ruisseau, elle me montre un lieu de rêve et de calme, le Jardin d'Essai

aux allées ombragées bordées d'arbres exotiques aux verts les plus nuançés,

puis on continue vers Belcourt, et vers la route moutonnière qui longe le Hamma.

Je vois alors son regard planant au dessus du Champ de Manoeuvres et de Mustapha,

du square Laférière, et remontant vers le Fort l'Empereur et le haut de la Casbah

il plonge en direction de l'Amirauté, du phare, et de la jetée tout là bas.

Notre regard glisse alors vers l'immense port, jusqu'au bassin de l'Agha,

et au delà vers cette baie si belle qu'elle semble nous offrir une invitation

à la rejoindre dans la tièdeur de ses flots bleus pour y nager à l'unisson.

Limite superbe de la ville, c'est moi qui lui montre Notre Dame d'Afrique

bien minuscule dans le lointain, mais toujours aussi magnifique.

Longtemps elle va continuer à me parler de notre ville avec passion,

je continuer à regarder ce beau tableau tout en l'écoutant avec attention,

mais alors que je n'ai pas encore eu le temps de digérer

un tel spectacle, voilà que, sans crier gare, la belle disparaît

et me laisse seul, je la cherche alors longuement sans que je puisse la retrouver.

Je rejoints alors ma famille, et dans la 203 je suis encore amer

alors que nous rejoignons Bab El Oued, mon quartier, par le bord de mer.

En rentrant rue Réaumur j'ai l'esprit un peu chamboulé,

je me dis que je retournerai vite chez mon oncle pour revoir cet Alger de lumière,

et qu'à cette occasion je ferai tout pour retrouver mon petit guide éphémère

car depuis que je l'ai rencontrée elle reste pour moi tout un mystère.

Robert Voirin (Rue Réaumur)

Thomas GISBERT

Edgar Bentolila m'a proposé de mettre ce texte sur votre site. Pour tous ceux qui m'ont connu ,je vous souhaite une Bonne et heureuse année.

Ce matin comme tous les jours la pluie macache et le froid ouèlou. Je vais faire manca hora de l’école et fissa m’échapper avec mon vélo, Padovani la plage c’est pas loin, mais c’est plein de rochers aux deux moulins. Plonger c’est l’idéal pour les fartasses quand tu ne t’écrases pas la tronche sur la caillasse. Après quand tu rentres à la maison si tu n’es pas mort ta mère elle te tue avec une giffle dans la figure que le mur il t’en donne une autre. En plus dans les rochers, il y a les crabes, les araignées de mer les oursins , tu te baisses , tu ramasses. Quand tu plonges à 50 centimètres des maous de poulpes tu remontes. Bon c’est un peu fanfaron mais racarbi , je te le jure sur la tête de ma mère qu’elle meurt demain si je dis pas la vérité vraie. Regardes le gros molard que je fais par terre en enfer je vais si je mens.

Il est midi, il faut rentrer, à la rue Montaigne je passe au bar de chez Escobédo Devant le verre d’anisette et la kémia je retrouve toujours les même Kilos. Des olives , des limaçons des tramousses et des bliblis et moi avec mon verre de sélecto. Une boisson un repas complet le patron est sympa et je paie qu’un poco.

Cet après midi gros emploi du temps je vais au 34 de la rue Léon Roches et il ne faut rien oublier : La craie pour jouer à la marelle avec les filles. La toupie avec le clou gangui et sa gitane pour jouer à casse toupie. Des sous pour acheter 2 boites d’allumettes en bois pour faire des tchapes. Les noyaux et les tics tics pour jouer à seven. Des sous pour acheter chez l’arabe d’en haut la côte un canout. Les billes pour jouer au trou prisonnier. Les déraillés pour jouer au circuit automobile. A encore des sous pour acheter des globos et faire des bulles énormes que t’éclates sur la figure du copain. Le con de sa mère , il rentre plus rien dans mon cartable.

Ne pas oublier à 5 heures la calentita chaude et les roliettes à la boulangerie espagnole .

Après le soir, tu fais l’avenue de la Bouzarèah , tu vas et tu viens 10 fois , rien que tu ramènes ton copain chez lui et après qu’il te ramène chez toi. Finalement tu dors chez lui !!!. Avec la barouffa tu mires une fille que si tu fais bien le mariol elle te sourit. Tu peux lui payer un zallabia ou un moukroun chez Blanchette mais c’est tout. Comme tu es connu par toutes les familles du quartier tu peux rien faire que le lendemain ta mère elle le sait avant toi. Tu te prends une calbote à te niquer la tête . Le pois chiche dans ton crane il joue au flipper et si tu bouges c’est game over.

Aujourd’hui nous sommes tous plus ou moins sguiches et laouères mais quel bonheur de penser à notre jeunesse passée. Je vous souhaite une bonne année et une bonne santé.

T. Gisbert 18, rue Livingstone ALGER

André TRIVES

NOEL A ALGER

Ecrire ces mots "noël à Alger", quoi de plus banal me direz-vous? Seulement voilà "noël" et "Alger" sont des mots magiques dans la mémoire collective des gens de là-bas. Ils évoquent des souvenirs d'enfance impérissables qui vous donnent des salves de frissons et secouent la tirelire des souvenirs avec une telle précision, une telle vérité que l'on peut se demander:" ai-je bien vécu cette réalité ou l'ai-je totalement inventée ?".

Hier, 25 décembre 2008, soixante sixième noël de mon existence, je ne peux m'empêcher de revivre ces moments d'époque révolue, pleins d'amour et d'amitié sous le regard pétillant de vie de nos parents, de nos amis et de nos voisins. Est-il opportun de revoir le film de son enfance et livrer aux quatre vents des souvenirs intimes, au risque de se faire traiter de passéiste radoteur ? Je ne me pose même pas la question. J'ai tout simplement envie de dire une vérité intangible qui appartenait à tout le petit peuple de Bab el Oued, et pas seulement à moi; la remettre au présent pour quelques instants, comme avant. Percevoir une fois encore la voix et les éclats de rire de ceux qui nous ont donné la vie et appris les principes et les valeurs qui font notre fierté aujourd'hui. Retrouver l'ambiance et la mentalité qui berçaient notre quotidien dont la finalité était de protéger et de conduire à un avenir meilleur la petite famille qu'ils avaient créée. Au rayon des choses importantes à retenir dans une vie, il y a celle qui consiste à ne jamais oublier d'où l'on vient. Rendre hommage à ces anciens du quartier qui nous ont entourés d'affection et de compréhension dans ces années de prime enfance, c'est redonner du sens à sa vie.

Souvenons-nous...¨La bûche dans la cheminée, les souliers au pied du sapin décoré, des paquets cadeaux de toutes les couleurs, des jouets de rêve inaccéssible, la neige couvrant de son manteau blanc les arbres endormis; c'était ce que l'on découvrait avec éblouissement chaque année à Bab el Oued lorsque notre institutrice du cours préparatoire, Madame Winckler, affichait au tableau noir pour la leçon de vocabulaire la gravure d'école de décembre. Chez nous, Noël se passait au balcon mêm si une fois tous le trois ou quatre ans une averse de grêle blanchissait le quartier pour quelques heures et nous faisait découvrir dans la cour de l'école ces maudites engelures; mais comme à l'accoutumée, l'hiver demeurait le cancre de la classe des saisons. C'est dans le ciel constellé d'étoiles scintillantes que l'on imaginait la plus belle des crèches bibliques. Des contreforts de la Bouzaréa à la colline de Notre Dame d'Afrique en longeant la côte de Sidi Benour, la voûte étoilée brillait de mille feux et la chariot de la Grande Ourse chargé de mystères nous donnait l'impression qu'il nous était destiné.

La hotte du père Noël n'était pas en surcharge dans cette nuit algéroise comme en été, où, avant de se coucher, les petits alignaient avec soins leurs"tianglès" au pied du lit en sachant qu'il n'y aurait pas de jalousie entre frères et soeurs dont la règle prévoyait un seul jouet par enfant mais toujours accompagné d'une tonne d'amour. Les enfants de Bab el Oued savaient jouer sans jouet, ils étaient experts en ficelle, papier et bout de bois pour s'évader dans un monde merveilleux. N'allez pas imaginer pour autant que notre enfance était malheureuse, loin s'en faut; elle n'était que la traduction d'une époque où chaque sou gagné était la contrepartie de litres de sueur. Alors une trottinette ou un tricycle ou un mécano voir une poupée en chiffon ou une dînette en fer blanc constituait le rêve devenu réalité.

Pour libérer la maison (l'appartement exigu) et laisser les mères et les grands mères en toute quiétude devant les fourneaux afin de préparer le repas traditionnel qui réunissait à midi toute la smala familiale, les enfants descendaient dans la rue pour montrer avec fierté le jouet au copain. Le compresseur à air du garage du coin servait à gonfler le ballon de cuir neuf à lacet et le match de foot le plus "dramatique" de l'année se déroulait au "champ" (emplacement actuel du centre Villeneuve) car, si en quittant la maison dans la tenue du dimanche on était beau comme un astre éclatant de lumière, au retour on donnait l'impression d'avoir joué dans une fosse à purin; d'ailleurs les mamans levant les bras au ciel, vociféraient les paroles de circonstance:" mon fils, mais d'où tu viens? on dirait Slimane le charbonnier". Et le tarif c'était deux calbotes et trois botchas avant d'être frotté énergiquement dans la bassine pour pouvoir se présenter à table où la paix de Noël était retrouvée.

Le repas durait jusqu'à la nuit et nos regards se figeaient en permanence sur le grand buffet où s'étalaient comme une provocation des assiettes débordantes de patisseries maison et de confiseries de chez Angelo: royettes, endjenettes, makrods, oreillettes, mantécaos, pères Noël en chocolat, pralines, fondants au sucre et "caca de cheval"; nous avions hâte de les déguster.

Les grands se racontaient des histoires de leur vie et des histoires pour rire. Souvent on était prié de quitter les lieux pour celles réservées aux adultes:"Les enfants allez voir dans la chambre si j'y suis". Et tous, frères et soeurs, cousins et cousines, on s'entassait à même le carrelage de la chambre pour retrouver avec ferveur notre univers où les rires et les cris n'enviaient pas ceux de nos aînés. Un silence religieux pour un court instant nous faisait écouter le 78 tours de Tino Rossi tournoyant sur le pick up "La voix de son maître" et, à l'unisson nous reprenions"il est né le divine enfant" et "Petit papa Noël". C'était de l'insouciance à l'état pur, c'était fort, c'était merveilleux le Noël à Alger où chaque année nous pensions que ces moments étaient éternels. On se séparait avec pour seul espoir que le Noël suivant soit vite de retour.

A tous les enfants de Bab el Oued d'hier et d'aujourd'hui.

André TRIVES

Robert VOIRIN

BONNE ANNEE 2008

A vous bande de calamars boiteux,

qu'est ce que je dirai pas pour vous rendre heureux,

sinon vous donner une calbote amicale,

que ça va surement pas vous faire mal,

à vous tous les fartasses, les guitches et les laouères,

ceux qui allaient se taper le bain en bas la mer,

à tous les bouffeurs de cocas, mantecaos, zlabias,

bliblis, roliettes, mounas, mouqrouts et calentitas,

à ceux qui dégustaient les brochettes à Fort de l'Eau,

à ceux qui tapaient cinq, à tous les falsos,

aux buveurs d'anisette avec kémias,

à ceux qui faisaient sans arrêt l'avenue de la Bouzaréah,

à tous les falempos qui mentaient comme des voleurs,

à tous ceux qui ont fait le bras d'honneur,

et ceux qui trichaient aux tics tics,

ceux qui faisaient la chaîne au Majestic,

ceux qui tiraient le fer au cassour, à tous les kilos,

à ceux qui, comme moi, tapaient cao,

ou soit disant maqua hora,

ceux qui jouaient aux tchalefs ou au tas,

ceux qui ont fait, les pôvres, figa ou tchoufa,

à ceux, que quand ils partaient on aurait dit qu'ils revenaient,

aux anciens de Bab El Oued, mon quartier,

à mes voisins de la rue Réaumur et de la Cité Picardie

à tous ceux de notre ancien " paradis "

à tous ceux là,

en pensant à ceux que j'aimerai qu'ils soient toujours là,

je souhaite que cette nouvelle année vous apporte le bonheur,

et surtout que cette purée de santé, elle vous laisse pas tomber.

Robert Voirin, du 5 Rue Réaumur.

Pierre-Emile BISBAL

Le cerceau

A Bab-El-Oued, le jeu du cerceau ne se calque pas sur les images d’Epinal qui le représente comme une sage activité, pratiquée par des enfants modèles, vêtus comme des mannequins, dans des jardins publiques et des squares tirés au cordeau sous la vigilance d’une bonne d’enfant. Pour nous, enfants de ce quartier, c’est un amusement de la rue. Il consiste, à diriger un cerceau l’aide d’une fine tige de fer dont l’une des extrémités est tordue à angle droit. Voilà un plaisir totalement gratuit car, nos bolides sont, généralement, de vieilles jantes de vélo auxquelles nous supprimons les rayons afin de ne conserver que le cercle d’acier. A l’aide d’un caillou ou d’un marteau emprunté dans quelque caisse à outils familiale nous redressons l’épave tant bien que mal. Nous connaissons et apprécions l’inestimable plaisir de concevoir nos jouets. De générations en générations la technique se transmet, la pratique se perpétue, les règles évoluent et l’activité prend, peu à peu, le profil d’une tradition.

Notre divertissement a plusieurs variantes, mais principalement nous nous livrons à une course poursuite. L’un de nous prend la tête du groupe et le défi consiste à le suivre en passant exactement là ou il est passé. Si le cerceau perd son équilibre ou si l’obstacle n’est pas vaincu, il faut se placer à la fin de la file. La compétition peut se concevoir avec ou sans dépassement des autres concurrents. Il faut simplement que ce point de règlement soit précisé au départ. Les voies en pente qui filent vers la mer offrent des circuits de course particulièrement adaptés.

Par groupe de quatre ou cinq nous nous affrontons dans des parcours que nous décorons d’effets particulièrement sonores. Au bruit de ferraille aigrelette de nos roues nous ajoutons nos propres bruitages qui plantent le décor où notre imagination évolue. A pleins poumons nous sommes, suivant notre envie, une voiture de course ou bien « une moto de police » avec toute la gamme des accélérations et des freins. S’ajoutent à cette pluie de décibels les chamailleries, les explications et les réclamations dues aux chutes du cerceau ou à la place à intégrer dans la file. Nous essuyons souvent les remontrances des adultes qui s’exaspèrent de nos fréquents passages sous leurs fenêtres ou leurs balcons. Les terrasses des cafés où nos anciens savourent leurs parties de cartes, demeurent les étapes les plus délicates à franchir. Là, notre vacarme perturbe le calme indispensable à la concentration des joueurs et nous récoltons quelques noms d’oiseaux couplés à des menaces de châtiments soulignés par des simulacres de gifles, des moulinets de bras et des agitations de cannes. C’est par pure bravade mais sans méchanceté aucune que nous traversons ces « zones dangereuses ». Nous sommes mus par l’éternel besoin qu’ont tous les enfants de ressentir le voluptueux frisson du risque.

Aujourd’hui, comme à notre habitude, nous sommes dispersés sur les marches de la placette Lelièvre qui font face à la rue de Chateaudun. Un de nous arrive avec une « roue » particulière. Elle diffère considérablement de nos pauvres et ridicules débris de bicyclette. C’est un cercle d’acier bien plus grand, plus large, plus lourd et rigoureusement plus plat que les nôtres. Il possède une stabilité sans comparaison avec nos jantes plus ou moins voilées. D’après notre copain, c’est un cercle récupéré sur le couvercle d’une barrique. Cercle de barrique ou non, nous observons avec un mélange d’admiration et d’envie cette bête de compétition. L’heureux possesseur de ce trésor souhaite nous prouver la puissance de son bolide. Il se propose de partir en bas des marches, de remonter la rue Jean-Jaurès jusqu'à l’angle en face de chez Coco et Riri, de tourner sur la droite, de suivre le trottoir pour rejoindre l’ouverture donnant sur la placette, de traverser cette dernière et de finir son circuit en dévalant les escaliers afin de rallier son point de départ. La dernière portion de course est particulièrement délicate. Descendre des marches exige une rare maîtrise de l’art du cerceau. Voilà notre champion parti. Il remonte la rue à bonne allure, poussant sa roue devant lui. La négociation du virage à droite est parfaitement maîtrisée. L’entrée sur la placette est royale et la traversée de l’esplanade de jeu un sans faute. Nous sommes tous debout et en retrait afin de ne pas gêner le compétiteur qui arrive et se prépare à dévaler les marches. Il se décale un peu sur la droite de son appareil pour mieux contrôler la descente. Le cercle de barrique mord sur la première marche. Parfaitement domestiqué par son conducteur il ignore les difficultés causées par le franchissement des angles successifs. Après une dizaine de rebonds c’est de nouveau le trottoir. Le circuit est achevé. L’heureux propriétaire de ce cerceau de luxe stoppe sa course et se retourne vers nous. Sa démonstration concluante l’autorise à un regard triomphant. Demain, tout le monde se consacrera à la chasse au cercle de barrique pour lutter à armes égales avec lui …

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