Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Michel SUCH

pour le maire de BEO.

Guy, si tu vas te taper un plongeon à les dindes, plage qui a été notre Eden, regarde sur les rochers, en descendant; voilà quatre décennies et demi, jy ai perdu une petite bague en or, en forme de coeur, que Nana, mon arrière grand-mère maltaise, m'avait offert. Qui sait? Avec un peu de chance... Je compte sur toi... et la bande des Messagerie... Et puis, c'est l'époque des oublades qui se pêchent au pain sur l'eau. Va à la Carra Moussa pour le roseau, à Padovani pour un crin de cheval, pour le bouchon noirci, je vous fais confiance, à toi et tes acolytes, parce que je sais que vous n'allez pas que boire de la Hamoud Boualem, du Crusch et du Sélecto... Pour le pain, derrière son pétrin, mon père cachait toujours un sac de pains rassis pour faire son 'boudinngue'... Si la boulangerie est fermée, achète une fougasse chez n'importe quel boulanger, le pain est bon à Alger et se sont les espagnols (têtes de...)qui leur zon appris... Alors... Et n'oublies pas, trois bouchons... Tant que le troisième n'est pas sous l'eau, tu laisses partir... Au fait, c'est quand qu'tu reviens???

Michel

Sydney BOISIS

Les copains d’avant.

De ces mots de là-bas mon cœur en réclame,

et quand mon regard se pose sur la page,

je me dis : « Suis-je à Alger ou à Paname ? ».

alors je surfe, je vole, je nage.

Ces mots sont des feux d’artifice,

un des mes favoris c’est « La Consolation »,

de simples baraquements, pas d’édifices,

la pauvreté en prime mais l’esprit de communion.

Les trois horloges semblent présentes à mes yeux,

témoin silencieux elles gardent leurs secrets,

peut-être qu’avant leur dernière prière aux cieux,

Ahmed et Pierrot rejoueront sur le sol sacré.

Aux noyaux, aux billes et aux toupies,

pour un temps retrouvé, l’air bête,

j’épancherai mes chagrins vieillis,

la tête haute, le cœur fier, j’irai à la fête.

Viviane LUCHESI

Le present message est pour MR Chistian TIMONER =

une fois encore = comme bien d autres avant moi =

je viens faire = chapeau bas = pour le travail superbe

qu il fait = travail = qui nous empeche de demeurer

orphelin de notre memoire d un pays = qu au fond =

nous regrettons tous = nous permettant ainsi = apres tant

d annees = de parler de ceux de nos familles qui ont vecu

sur le sol d ALGERIE et qvec quel bonheur = certains y dormant

pour l eternite = et bien d autres qui ont = comme nous tous =

rejoints LA FRANCE pour y creer leur vie = et par voie

de consequences = atteindre les limites de leur existence =

Alors = encore = merci a vous = sans lequel ces 2 copains

d enfance perdus de vue = depuis pres de 50 ans = CF Mon message

du 04/05/08 et la reponse de MR S BOISIS du 05/05/08 =

ne se seraient jamais retrouves = meme si ce ne sera que

par la pensee = l un n etant plus sur cette terre =

eliminant les annees et es distances =

Combien de communautes peuvent se vanter de faire

de tels exploits = bien peu a mon humble avis = en se fondant

en plus = sur des valeurs d humanite et ce = en plus = toutes

religions confondues = Il en faut de l amour pour conduire une telle caravane faites le SVP encore longtemps PHOTO EXP BOUTIQUE GD MERE

Pierre-Emile BISBAL

Les guetteurs du crépuscule.

Par un roulement gras suivi d’un claquement sec, les rideaux de fer obturant les devantures des magasins annoncent l’heure de fermeture. Le soir installe la fraîcheur de la mer. Délivrée de la pesante chaleur de la journée, l’avenue de la Bouzaréah redevient accueillante et retrouve ses fidèles. La rue revit peu à peu. Son bruissement s’étoffe. C’est samedi soir, le moment de l’office avec ses rituels immuables.

Le samedi soir offre un spectacle à chaque fois différent. Je scrute ma rue avec une application de vigie. Le front calé contre la rambarde du balcon je suis au théâtre. Je domine cette circulation qui, malgré son apparence brouillonne, obéit à des codes précis. Les groupes se forment et décident de ce que sera la soirée. Une bande, joyeuse d’un rien, traine derrière elle une spirale de rire qui ricoche sur la façade des immeubles. Avec un peu de chance une algarade ou un différent bruyant viendra pimenter la soirée. Ce sera le clou du spectacle, son apothéose. Chaque samedi j’espère et de toutes les façons si ce n’est pas aujourd’hui ce sera une autre fois.

La clientèle des bistrots, à la recherche du moindre souffle d’air, déborde sur la chaussée. Cela forme un barrage que contourne le flot de ceux qui rentrent chez eux. Pour boire il faut atteindre le bar, mais pour discuter le trottoir offre un espace plus tempéré. Et puis dehors on dispose de la place nécessaire pour appuyer son discours de la gestuelle engendrée par notre vie en ce pays. La voix n’est plus seule à traduire la pensée. Les mains dessinent de rapides et souples arabesques et tout le corps s’applique à suivre le mouvement pour décrire, expliquer, convaincre ou répliquer. La conversation prend une autre allure, elle est mise en scène. Comme dans la commedia dell'arte, l’argument le plus simple se charge en intensité pour mieux captiver l’auditoire. Ces pantomimes complètent la compréhension du discours.

Dans ce quartier les exodes de l’Europe, engendrées par la misère ou les conflits, arrivèrent en vagues successives pour rencontrer le Maghreb. Face à la multiplicité des langues natales, des patois, des dialectes les mains se chargèrent d’une mission: Permettre à chacun de mieux se faire comprendre de tous.

Je ne suis pas le seul à contempler la rue de mon balcon. Nombreux sont ceux qui, comme moi, prisent le tableau de ce début de soirée. Sous le prétexte de « prendre le frais » chacun s’installe à son poste d’observation préféré. Tous ces guetteurs assidus et passionnés regardent exister le peuple de Bab-El-Oued. On n’observe pas uniquement la rue. Après des heures d’étuve, pour respirer à nouveau les appartements ouvrent largement leurs fenêtres. Ce sont autant d’ouvertures d’où s’évadent le son des radios ou la musique des pick-up, les odeurs de cuisine, les rires ou des éclats de voix. Ce curieux mélange ruisselle dans la rue et enveloppe le cortège des badauds. En retour, comme un échange, la bruyante agitation des promeneurs s’envole vers les étages. Quand on porte son regard sur les immeubles alentours, par les croisées ouvertes, on dérobe des petits instants de vie. Toutes ces images volées, mises bout à bout, construisent le film de notre plaisir. Ce n’est pas par voyeurisme malsain que nous contemplons toutes ces existences qui se frôlent, s’entrecroisent et fusionnent. C’est pour le contentement d’observer la vie, d’observer notre vie.

Dans quelques années, moi aussi je serai « en bas ». Je serai enfin un acteur. Je connais déjà mon rôle car j’ai vu mes ainés le jouer tant de fois. J’aurai cet air faussement courroucé quand le retardataire rejoindra notre groupe. Je sais déjà comment je taperai sur le cadran de ma montre pour souligner son retard. Je prendrai un ton ironique et une attitude faussement admirative pour détailler les vêtements neufs qu’un ami mettra pour sortir. J’aurai l’application qu’il faut pour lire le programme des cinémas dans la rubrique spectacle de « L’Echo d’Alger ». Tout est prévu. Je conduirai un scooter car j’emprunterai celui de mon oncle. Je posséderai mon propre trousseau de clés de la maison. Ma grand-mère me glissera un peu d’argent dans ma poche et mes parents feront ceux qui n’ont rien vu. A l’instant où je passerai la porte de notre immeuble, ma mère me criera du balcon «Pierre-Emile, fais attention et ne rentre pas tard ! ». Bien sur mes collègues me charrieront sur cette attention maternelle tout en taisant le fait qu’ils ont eu la même en partant de chez eux. Avant de rejoindre le ciné, on passera voir Ortéga qui s’est foulé la cheville en descendant du tram et qui ne peut pas nous accompagner. Il habite un rez-de-chaussée rue Suffren. Nous nous agglutinerons devant sa fenêtre pour railler sa cheville bandée. Après le film, nous irons dans une petite gargote. Les moins fortunés d’entre nous affirmeront qu’ils n’ont pas faim. Pour combattre ce fier mensonge, nous déciderons de faire bourse commune. Les portions seront plus petites mais nous nous rattraperons sur les rires. Gavés de joie on rentrera à la maison en prévoyant de se voir demain à la plage. Mais ce sera dans quelques années, vers 1968 ou 1969. J’aurai seize ou dix sept ans. Je ne crains rien, l’avenue ne disparaitra pas. Le soir sera toujours là accompagné de son indispensable fraicheur. Il me faut simplement être patient.

L’avenue n’a pas disparu, la fraicheur du soir demeure aussi agréable, mais nous savons, vous et moi, qu’il en fut autrement.

guy SOLTANA

Dans mon enfance, je faisais une toilette sommaire et journalière à l'eau froide dans l'évier de la cuisine. Le samedi, j'avais droit à un bain dans une grande bassine galvanisée. Ma soeur profitait de la même eau après moi. Un peu plus grand, lorsque ma grand-mère avait accès à la terrasse pour faire la lessive, j'en profitais, avec mes copains, essentiellement le samedi, pour faire la grande toilette dans des baquets. Ensuite, nous nous aspergions à l'aide d'un tuyau que nous branchions. C'était la grande rigolade. Entre seize et dix-huit ans nous nous rendions, le samedi, aux bains-douches (chez Madame Ortez) qui se situaient à l'angle des rues Vasco de Gama et Lewingston, à environ 100 mètres du cinéma "La Perle" et de l'usine Job. Nous prenions toujours la même cabine (pour deux, la première en rentrant à gauche) car nous avions appris (dois-je l'avouer ? et puis zut ! il y a prescription) que derrière la tuyauterie se trouvait un trou par lequel nous mations .... devinez qui ? ça dépendait de la chance... Nous en oubliions presque la raison pour laquelle nous étions venus. L'employé responsable de l'entretien nous rappelait à l'ordre lorsque le temps était écoulé. Cheveux lavés avec le shampooing "berlingot Dop" et gominés avec du Pento ou encore avec de la brillantine Roja, nous repartions de ces douches tout exités. Nous étions près pour la drague dans l'avenue de la Bouzareah.

Alfred LANGLOIS (Freddy)

A gigi2, Sauveur, Guy Soltana, Serge Christol, Jean François, Marc Caiazo, Chatain Alain, et à TOUS.

Concernant les jeux de notre quartier : 30 et 32 rue Léon Roches avec quelquefois "ceux" du 32 bis, 34 et meme 36, voici une liste, non exhausive, des jeux que nous pratiquions (surtout pendant les grandes vacances et meme toute l'année) :

- Fava vinga : deux équipes de 7 ou 8 joueurs (quelquefois plus), choix des équipiers par le systéme des pas. Une équipe, le dos courbé, le premier s'adossant sur un joueur calé contre le mur et servant de coussin), la deuxiéme équipe dont le premier participant devait crier "FAVA", la deuxieme, celle " courbée " devait répondre "VINGA", la suite consistait, pour la seconde "bande" à s'élancer sur le dos des autres le plus prés possible du "coussin". Quand tous avaient sauté l'équipe au sol comptait jusqu'à 20 en se tortillant au maximun pour les faire tomber.

Le coup d'après : échange des positions et cela recommençait.

- Canette VINGA : par 2 équipes de deux avec une raquette et un"cigare.

- La BOLéRA avec une balla de tennis entre les deux pignons du 30 et du 32 se faisant face.

- les TCHAPS de boites d'allumettes

- les Billes (plusieurs variantes).

- les NOYAUX : par tas ou à seven avec des tchic tchic.

- la TOUPIE (plusieurs variante aussi).

- la DELIVRANCE par équipe de 5 à 10 et meme plus

- les DERAILLES : tour de France, match de foot.

- le FOOT par deux entre les 2 immeubles avec une petite balle ou une boite de tabac "LA MOUCHE", ou alors par plusieurs , dans la rue, avec une balle en chiffon, une boite de conserve ou un "VRAI BALLON" (c'était RARE). Les parties en 20 la mi-temps et en 40 la fin.

- le "UN LEBRUN / DEUX LA QUEUE", une sorte de saute mouton "améliorée" et plus compliquée.

- les carrioles à roulement de fabrication "maison" avec des matériaux de récupération ou de chapardage.

- la "POURSUITE" ou JEU DE PISTE (surtout les soirs d'été) : une équipe partait devant en laissant des indices qu'une seconde devait découvrir en suivant "la trace", celait pouvait nous conduire jusqu'à Guillemin ou vers le " PONT EN FER".

- les COURSE A PIED, soit en sprint soit en faisant le tour vers l'avenue de la Bouzaréa et la rue Taine.

- les CANOUTES, partie creuse des plumeaux de roseau qui nous servait de sarbacane.

- la FAçONNAGE de la terre glaise (récoltée en b

Pierre-Emile BISBAL

Deux instants.

Le pain chez Maresca.

On ne m’autorise plus à sortir seul à cause de la situation qui se dégrade à Bab-El-Oued. La population de la Placette Lelièvre s’est clairsemée. Du balcon de chez mes grands-parents, j’épie les jeux des rares groupes qui subsistent. Je m’amuse par procuration. Cette réclusion me pèse, alors je profite de chaque occasion pour être dans la rue. Ainsi, faire les courses, c’est grignoter un peu de liberté. Avec mon grand-père, nous allons chez Maresca acheter le pain. En sortant de l’immeuble, après l’obscurité de la cage d’escalier l’intense lumière du dehors m’éblouit. Nous descendons la rue Jean Jaurès en suivant le mur de la Placette surmonté de ses grilles de fer. Nous passons à l’aplomb du terrain de boule. On dépasse le salon de coiffure. Avant, je craignais d’entendre la phrase fatidique « Bientôt faudra aller chez Charlot». Cette sentence terrible signifiait qu’une grande partie de mon prochain jeudi après-midi serait amputée par l’attente dans cette boutique surchauffée. Maintenant j’aimerai patienter dans ce salon tout en longueur juste pour le plaisir d’être avec un ou deux copains. Nous traversons le boulevard pour entrer chez Maresca. Derrière son comptoir, Solange nous sert notre pain. En sortant nous observons pendant quelques courtes minutes les manœuvres d’un hélicoptère au-dessus de l’hôpital Maillot. Nous reprenons notre chemin en sens inverse mais avec un peu plus de lenteur. Je chemine à hauteur de mon grand-père. Il pose sa main sur mon épaule pour modérer mon allure. Ses bronches sifflent à chaque inspiration. C’est un souvenir du temps ou, quand il était soldat, en 1920, il passa deux rudes hivers d’occupation en Allemagne. Nous marquons plusieurs haltes pour discuter avec ses amis du quartier. Ce sont autant de répits qui me sont offerts. Nous sommes arrivés. Il me faut abandonner ma rue et rentrer.

Des plaisirs.

A la plage, je reste « à la baille » plus que de raison. Le jeu me fait perdre la notion de temps. Il faut une injonction sévère de mes parents pour que je rejoigne le rivage. Malgré la chaleur ambiante et l’agréable température de la mer je sors de l’eau tremblant de froid. Mes lèvres sont bleuâtres. « Allez, dit ma mère, il est midi tu te sèches on va bientôt manger ». Alors, c’est l’instant du premier plaisir. Je choisis une belle portion de sable inoccupée. Tout transi, je me roule lentement dans le sable chaud et doux. On ne peut faire cela que lorsque l’on est enfant. C’est une satisfaction interdite aux adultes. Me voilà enveloppé d’une chaude caresse. Mon corps se réchauffe. La déplaisante sensation de froid recule brusquement laissant place à une suave impression de bien-être. Mais, attention, au choix de la bande de sable ! Trop éloignée du rivage elle sera brûlante, trop proche elle sera inefficace. Toute est une question d’appréciation.

L’autre plaisir, après m’être réchauffé, c’est de calmer ma faim. A l’ombre du parasol, bien protégé de la chaleur, je fouille dans le couffin réservé au casse-croûte. Je déplie le torchon blanc qui protège les cocas. Pour se rassasier, peut-on espérer plus grand bonheur que de croquer dans ce demi-cercle dodu de pâte dorée au four ? Qu’importe la garniture, soubressade, légumes, ou fritanga, le régal demeure le même. Il faut mordre soigneusement pour détacher la juste bouchée, une main placée en dessous pour récupérer ce qui pourrait chuter. Il n’est pas concevable de perdre une seule miette. La première coca calme la faim, la gourmandise justifie la seconde, la troisième reculera forcément l’heure de la reprise de la baignade, mais qu’importe. Quel festin !

Pierre-Emile BISBAL

Le 26 mars 1962 – Rue D’Isly

Une incontestable ardeur fraternelle les porte. Ils avancent dignes et simple. Ils ne craignent rien car ils brandissent le plus admirable et le plus vigoureux des symboles : Le drapeau de leur pays. Aucune agressivité ne filtre de cette lente et longue progression. Femmes, enfants et hommes mêlés se contentent d’exprimer une louable volonté, celle de secourir un quartier de leur ville à cet instant ceinturé par la force. Ils forment une foule profondément humaine, avec comme unique arme le désir de rompre un blocus inutile et inhumain. Seul un dément pourrait penser qu’ils représentent une quelconque menace dont il faudrait se défier.

Ils avancent vers leur destin avec toute la sérénité de ceux qui œuvrent pour le bien. Ils marchent en chantant les chants du peuple auquel ils appartiennent. Ces chants appris dans leurs écoles. Ces écoles qui ont formé ceux qui les ont précédés et dont la mort de certains fut comptabilisée sur tous les champs de bataille de la nation. La confiance et la détermination cheminent à leurs cotés. Ils se veulent inoffensifs pour mieux réussir leur entreprise. Ce sont des libérateurs aux mains vides de toute arme. Le but qu’ils se fixent et aussi simple que leurs intentions sont pacifiques. Ouvrir une brèche dans un mur de désespoir.

Ils avancent dans une des plus belles avenues de leur ville. Un homme se baisse et prend sa fille dans ses bras il l’assure sur son bras gauche et enlace sa jeune femme du droit. Ils avancent, déjà perdus, déjà condamnés. Ils ne s’en doutent même pas. Ils chantent. A cet instant, ils existent parfaitement, sans restriction, lumineux et vivants. Cette marche est un geste d’amour absolu. Ils l’offre à tous ceux vers qui ils convergent et dont ils souhaitent la liberté. Soudain les tirs des armes automatiques les fauchent. Ils tombent comme tombent les innocents, incrédules et surpris, victimes absurdes d’un ahurissant carnage. Ils tombent comme tombent tous les justes que la barbarie du hasard désigne à la mort. Ils tombent sans savoir qu’ils tombent, sans le dernier regard qui encourage ou la dernière parole qui apaise. Ils tombent et tombent encore. Tout se fige. Ils ne chantent plus. Ils hurlent. Ils agonisent. Ils meurent. Les drapeaux tricolores qu’ils agitaient, les hymnes patriotiques qu’ils lançaient au vent furent des talismans inefficaces. Ce 26 mars la mort fit des belles et bonnes affaires. Pas de chicane avec celui qui doit partir. Pas besoin de lutter contre le médecin ou la religion. Une fructueuse moisson obtenue sans le moindre effort.

Pourquoi, dans ce printemps méditerranéen, ce presque été, les Dieux se détournèrent-ils leurs regards de la rue d’Isly ? Notre communauté n’avait nul besoin de martyrs supplémentaires, elle n’en avait déjà que trop. « Mon lieutenant, je vous en supplie, criez halte au feu ! ». Avec cette imploration rugueuse comme un sanglot, hurlée dans son micro, le reporter témoin de la scène illustrera l’une des plus abominables boucheries de l’Histoire du vingtième siècle, de l’Algérie et de la France.

Notre souvenir, aussi longtemps qu’il perdurera, donnera à nos victimes de la rue d’Isly le plus beau titre qu’il soit : « Morts pour la Fraternité ». Cette permanence dans notre mémoire leur évitera aussi la chute impudique dans la fosse commune des statistiques de l’Histoire.

André TRIVES

L'école de la place Lelièvre: l'université de Bab el Oued

Parce qu'on y entrait au primaire vers l'âge de 6 ans et qu'on y ressortait après le BEPC entre 16 et 17 ans, soit plus de 10 ans de fréquentation assidue, l'école Lelièvre était notre seconde maison. Parce que maîtres et élèves se cotoyaient et vivaient ensemble une vie d'intérêt commun depuis des générations, elle était notre deuxième famille. Alors, vous dire que le surnom d'université de Bab el Oued qu'avait donné Mr BEN SIMON notre prof de français, pouvait lui conférer le titre de meilleure école du quartier, cela serait probablement présomptueux. Une chose est certaine, elle était un modèle pour moi où, à la ténacité de former des têtes bien pleines, s'ajoutait un enseignement paternaliste ne faisant pas partie des programmes scolaires et qui rappelait inlassablement les principes et valeurs à respecter pour nous préparer à affronter la vie.

Mais il est vrai que pour s'en rendre compte réellement, il fallait l'avoir quittée. Je n'ai jamais oublié ces moments de générosité intellectuelle qui nous étaient destinés comme si nous étions leurs propres enfants, et qui cinquante ans après m'inspirent toujours. J'ai toute ma vie, dans la réussite comme dans l'échec, entendu une voix venue de l'intérieur qui m'intimait à un rappel à la modestie ou à la persévérance. Le mérite n'était pas d'apprendre par coeur les leçons, mais surtout de les comprendre. Connaître la fable du laboureur c'était bien, comprendre la finalité de ce magnifique texte de Jean de La Fontaine, c'était mieux. C'est toutes ces leçons de savoir-être apprises sur les bancs de notre école que j'écris à la craie aujourd'hui sur le tableau noir de ma mémoire comme si je devais passer un examen devant mes maîtres et maîtresses réunis. Je voyage place Lelièvre...Que les souvenirs sont beaux...Je gravis les cinq marches de pierres usées, les murs, les portes et les fenêtres ont été repeintes en gris bleu durant les vacances d'été, je franchis le hall d'entrée, laissant sur la gauche le bureau du directeur et sur la droite la loge de la concierge, au mur une plaque de marbre commémore les enseignants morts pour la France au cours des deux guerres mondiales. Comme une déferlante, je fais partie de cette vague d'enfants sortis de "chez Coco et Riri " qui envahit la cour de récréation avec des cris d'allégresse, tentant d'évacuer l'ultime trop plein d'énergie; dans quelques minutes la sonnerie nous rappellera dans nos classes respectives et le calme reviendra. Pour l'instant la cour et le préau ressemble à des studios de cinéma où suivant l'âge des acteurs, on y tourne en virtuel Robin des Bois, le chevalier Ivanohé, Zorro ou le combat de Marcel Cerdan contre Tony Zale. Soudain, la sonnerie retentit, les cris et les rêves retournent à leur place jusqu'à la prochaine récré. Seul le chant monotone et saccadé d'une classe répétant la table de multiplication résonnera comme le coeur battant de l'école. Les récréations comme le nom l'indique sont faites pour se re-créer; ici, elles servent à vaincre: gagner des billes à tuisse, gagner une bataille de tchappes, gagner des noyaux à seven ou au tas, gagner une course, gagner à "tu l'as", gagner au chat perché, gagner au foot avec une boule de papier. Nous étions les inventeurs du slogan"la victoire est en nous".

Le rez de chaussée était occupé par le primaire, le premier étage par le secondaire et les escaliers qui y conduisent n'étaient accessibles qu'à ceux qui réussissaient l'examen d'entrée en 6°; alors vous imaginez la hantise séculaire pour tous ces enfants du primaire de pouvoir un jour accéder à l'étage des grands. Seuls les grands faisaient de la gym et du hand ball avec Mr ROMEO qui les amenait au stade Cerdan. Et ce n'était pas tout, le secondaire apportait des connaissances nouvelles qui excitaient la curiosité: l'algèbre, la physique, la chimie, l'anglais, l'arabe, la philosophie. Quand on quittait l'école après 10 ans d'habitudes confortables et protégées pour poursuivre au Collège Guillemin ou au lycée Bugeaud, c'était le grand désarroi, mais pour paraître un homme déjà, nous savions le dissimuler.

Avec les années écoulées, je garde à l'égard de nos enseignants un sentiment profond de respect. Alors qu'ils auraient pu quitter notre quartier populaire et trouver une affectation dans les beaux quartiers, ils restaient au service de Bab el Oued leur vie durant. Combien de fois, le jour de la rentrée, on entendait ce dialogue entre le maître et un élève:-" es-tu de la famille à un Ballester que j'ai eu il y a quelques années ?"-" oui, msieur, c'est mon grand frère."

On déclarait au début d'Octobre que l'année serait bonne ou mauvaise en fonction de la gentillesse ou de la sévérité qui habillait l'étiquette du maître que l'on avait. On grandissait avec eux, ils connaissaient tous nos défauts, ils savaient nous faire naître des qualités. Nous apprenions leurs us et coutumes de la bouche des anciens, et chaque année, une sorte de rapport biographique digne des Renseignements Généraux nous informait des comportements de chacun. Ainsi, par le rappel constant du passé mis à jour tous les ans, nous avions élaboré l'histoire de notre école qui se transmettait comme un trésor de famille. C'était émouvant et bien sympathique de voir un facteur, un agent de police ou un médecin de passage, interrompre le cours pour congratuler l'instituteur tout rayonnant de joie. C'était un peu grâce à lui si le petit galopin bavard mais studieux était devenu quelqu'un d'important.

De 1946 à 1958, l'école Lelièvre a été.............( Suite dans un prochain message)

André TRIVES

L'ECOLE DE LA PLACE LELIEVRE: l'université de Bab el Oued (suite du 19 mars à 21 h 05)

De 1946 à 1958, l'école Lelièvre a été dirigée par Mr NADAL un homme d'une profonde bonté, Mr MASSE avec un oeil en verre il paraissait plus sévère qu'il n'était, Mr FRANCHON la gentillesse personnalisée. Les maîtresses et les maîtres qui ont marqué cette période avaient tous sans exception pour dénominateur commun: un coeur gros comme une pastèque de 10 kgs. Et si certains étaient adeptes de la manière forte, il faut reconnaître que nous y étions pour quelque chose. Souvenons-nous: Mme WINCKLER du charme avec une main de fer, Mr NONDEDEO, la discipline au bout des doigts, Mr LEVY impressionnant de carrure et de gentillesse, Mr BENZAKEN un excellent pédagogue usant de la règle à persuasion, Mr ASCIONE trop gentille pour gérer les vedettes du quartier, Mr FOLETTI soupe au lait et le coeur sur la main, Mr BEN FREDJ la voix nasillarde qui transperçait les fenêtres, Mr STORA le sérieux et le travail sans chahut, Mr BENHAIM l'amour du métier qui le conduisait à nous agrandir les pulls par tiraillements et qui calmait les agités en les envoyant faire un tour à "l'usine aux parfums" c'est à dires les WC jouxtant sa classe, Mr MOLL sportif et puncheur à l'occasion pour que ses élèves ne quittent pas l'école sans le certificat d'études. A l'étage, les professeurs du secondaires finissaient de parfaire notre éducation d'adolescent: Mr BEN SIMON la classe dans la classe avec humour et spiritualité, jamais en colère, juste un froncement de ses sourcils épais avec une moue dubitative et le dérapage devenait contrôlé, Mr DAUSCHY visage juvénile aux attitudes d'aristocrate pour nous apprendre les verbes irréguliers, Mr DAVIN qui était naît sans sourire et qui portait en permanence un chapeau mou avec rebord baissé comme un abat-jour, Mr GERMAIN les maths en représentation théâtrale ou l'art du mime pour élucider les énigmes posaient par Thalès ou Pytagore, Mr FAGARD heureux de voir sa classe croulait de rire sous ses pitreries en cours de sciences naturelles, Mr PEUTO un conférencier de haut niveau en histoire et géographie; il nous avait fait faire la maquette de bab el Oued avec ses contours, ses reliefs et la descente de l'oued M'Kacel pour nous faire mieux comprendre là où nous vivions. Avec lui nous garderons aussi le souvenir de l'apprentissage de la reliure. Mr BLOT s'efforçant de nous faire comprendre la place des voyelles en Arabe littéraire et nous faisant réciter à l'unisson le poème sur l'hiver " El chitaou": " Hassanou foussouli el ami oua el chitaou oua y naïdine yassirou el djaou...", Mlle GAVARONE transportant péniblement de classe en classe un meuble contenant le guide chant pour nous donner le goùt de la musique classique, Mme LAFAILLE souriante derrière ses lunettes à grosse monture articulant sa leçon d'Anglais avec des lèvres peinturlurées d'un rouge éclatant, Mme ESPOSITO et Mr BARTHELET des pédagogues de l'esquisse, de la perspective et de la proportion; on vaporisait un liquide appelé fixateur sur les dessins au fusain pour les conserver. Enfin celui qui avait la sympathie de tous, toujours vêtu d'un survêtement et s'évertuant à nous faire redresser la tête pour marcher au pas: Mr ROMEO portant des lunettes à gros foyers et un sourire de gentillesse permanent.Avec lui on quittait l'école une fois par semaine et nous éprouvions alors un sentiment de liberté dès la sortie rue Jean Jaurès, à hauteur de la Typolitho l'air de la mer nous transportait dans les grandes vacances et une fois arrivés sur le terrain de basket attenant au stade Marcel Cerdan où se déroulait le cours de gym, nous ressentions le bonheur de vivre à Bab El Oued. De mai à juin le cours de natation avait lieu en pleine mer au Petit Bassin; inutile alors de décrire le charivari explosif de joies et de cris qui montait jusqu'au boulevard et qui destabilisait pour quelques heures ce petit coin tranquille pour pêcheur à la ligne. L'esprit de l'école Lelièvre, de solidarité et de grande ferté se retrouvaient dans les différentes générations qui portèrent le maillot de l'équipe de hand ball lors des rencontres inter-scolaires qui avaient lieu le jeudi après midi au stade Leclerc; et Mr ROMEO qui était l'initiateur de ces beaux moments de notre jeunesse était pour nous un grand copain, un ami, un grand frère.

Chaque année à Pâques, sous l'égide de l'Amicale des Anciens Elèves et de Parents d'Elèves de l'école, une grande kermesse ouvrait ses portes au public. Elle s'accompagnait d'une exposition de dessins, peintures, modelages et sculptures exécutés par les meilleurs élèves de chaque classe avec pour rehausser ce rendez-vous annuel depuis plus de 40 ans, des panneaux réservés aux oeuvres des anciens devenus artistes côtés et très connus. Nos parents éprouvaient un immense plaisir en découvrant une réalisation de leur fiston, mais s'en trouvaient encore plus heureux de parcourir l'école de leur enfance. En juin deux évènements traditionnels marquaient la fin de l'année scolaire: la remise solennelle des prix en présence de l'inspecteur d'Académie sous le regard ému des parents et grands parents, et, une grande fête gymnique et sportive réunissant les écoles du quartier qui se déroulait sur le stade Cerdan agrémentée de spectacles qui retraçaient des fresques historiques. Je ressens comme une démengeaison de plaisir qui traverse tout mon corps lorsque je sors du sommeil de ma mémoire le souvenir de la fête 1949/1950 qui avait pour thème: l'antiquité. Durant le dernier trimestre qui précéda cette manifestation, l'école ressembla à un grand chantier où personne ne comptait les heures supplémentaires. Sous la direction de Mr ROMEO assisté de nombreux collègues et de tous les élèves en âge de participer, une véritable razzia fut organisée sur le carton, les manches à balai, le papier de couleur, la colle, la ficelle, les vieux tissus. Ainsi on confectionna des costumes et heaumes romains, des épées, des dagues, des lances, des fouets; et pour restituer la course de Ben Hur, on emprunta aux éboueurs leurs charretons-poubelles qui furent décorés plus vrais que nature. Le couple de chevaux pur-sang qui les tirait était constitué de deux gaillards qui ne ménageaient pas leur peine sous le soleil impitoyable d'un été qui s'annonçait déjà brûlant. Ce spectacle d'enfant, monté et réalisé avec l'union de toute l'école remporta un immense succés dont "Dernière Heure" le journal paraissant l'après midi se fit l'écho pour la plus grande fierté de chacun.

Nous jouions follement dans la cour de notre école qui le temps des récréations devenait un paradis. Je revois ces visages surmontés de cheveux hirsutes, trempés de sueurs que l'on essuyait d'un revers de manche ou d'une main pas très propre. Quelles bonnes mines nous avions, rouges comme des coquelicots, au moment où la cloche nous rappelait dans les classes.

L'école Lelièvre fabriquait des modèles et des exemples de réussite; elle nous conviait pendant 10 ans à un véritable parcours iniatique qui contribuait à la plus importante des connaissances: la connaissance de soi.

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