Né à Bab El Oued - 1948 - ALGER

 

Bibliothèque des trois horloges

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Michèle VERNETTOZZA

Oui, en effet, nous avions des expressions bien à nous à BEO et dans toute l'Algérie aussi....: compère Loriot, caca de cheval ou de pigeon...

Notre langage était très imagé et nous l'utilisions fréquemment....Mais tout cela faisait notre charme et nous différenciait de la Métropole...

Vous souvez-vous du nougat turc que nous appelions caca de cheval si bien qu'un de mes cousins qui était très petit en Algérie disait lorsqu'il voyait un cheval faire ses besoins: tiens il fait du nougat turc....Ceci est véridique et peut-être qu'il se reconnaîtra s'il va sur ce site.....

En fait il s'agit de l'Halva turc qui est délicieux mais avec tout plein de calories.....

Entre ce nougat et les bonnes pralines de chez nous, il y a de quoi dire....

A BEO: dans les rues et au marché, les marchants vendaient tout cela au moment des fêtes de Noêl...Je m'en souviens comme si c'était hier. Pierrette doit bien s'en rappeler aussi.....

Tout ce petit monde faisait notre joie comme nulle part ailleurs...Ensuite on mangeait des la calentita puis les beignets de chez Blanchette, puis les cacahuétes, les bliblis et les jujubes chez les petits marchantd de la rue....

Je me souviens de cacahuétes toutes chaudes dans des petits cornets faits dans des journaux...

Je vous laisse sur ces notes nostalgiques....Bon après-midi à tous.

Michel SUCH

Et pourquoi frotter l'orgelet avec une pièce de 1 sou frappée de la francisque?

On retrouve ce métal dans presque toutes les pommades contre les compère-loriots vendues en pharmacie... Alors...

Le zinc?

Bravo!

Sans le savoir nos grand-mères faisaient de la chimie, de la pharmacie, de la science appliquée et surtout, elle nous aimaient.

Elle me manque ma grand-mère un peu sorcière.

Parfois il me semble l'entendre chuchoter" Michel mon fils arrête de lire tu vas t'user les yeux."

Mais sans la lecture, nous ne serions pas là, devant nos écrans, à trouver des définitions à des actions qu'elles pratiquaient par la transmission d'un savoir oral.

Continuons à les faire vivre, à transmettre notre culture.

""S'il est vrai que les seuls paradis sont ceux qu'on a perdu, je sais comment nommer ce quelque chose de tendre et d'inhumain qui m'habite aujourd'hui.Un émigrant revient dans sa patrie. Et moi je me souviens. Ironie,

raidissement, tout se tait et me voici rapatrié." Albert Camus. "Entre oui et non.""

Michel SUCH

Je pensais ma grand-mère unique et je me rends compte que dans Alger, BEO et certainement dans tout le pays, des centaines de vieilles femmes vêtues de noir faisaient bouillir de l'eau, crachaient dans des pots, récitaient des prières... Massaient les ventres gonflés avec de l'huile d'olive et de l'eau bénite. C'est péché de vouloir toujours expliquer le pourquoi du comment et de trouver une racine à ce que vous appelez "enfite". Chez nous, dans cette rue en impasse qui se terminait par un escalier dans lequel j'ai failli des dizaines de fois me casser la gargoulette en ramenant de chez Madame Nivart, une bouteille d'huile à crédit; oui chez nous dans cette rue François Séranno, anciennement rue de La Vigie on venait chez ma grand-mère pour l'INFITE. Pour moi ce mot est magique et avec l'enfite, je viens de laisser échapper ma bouteille d'huile d'olive. Elle va encore me gueuler dessus ma Mémé Angèle la maltaise. Et tout ça pour un E à la place d'un I. Même si vous avez raison... J'ai pas tord! Et les "compalorios" alors hein! Y'a que ma mémé qui les soignait?( Pour les lettrés, ne pas prononcer le S et ne venaient pas me dire que cela vient de l'espagnol...)Ma Mémé m'a laissé quelques pouvoirs et je sens que certains vont devoir faire provision de "bliblis". Oui, chez moi, dans cette rue en impasse anciennement Rue de la Vigie, les pois chiches étaient déjà grillés...

Vivent nous ôtes!!!

Michel

Antoine BILLOTTA

Moi aussi, j'ai été guéri de "l'enfite" et des coups de soleil comme vous le décrivez. Par ailleurs, quand, selon ma mère, j'avais "le mauvais œil", elle m'envoyait. chez la grand-mère de Kiki Sultan, 4 Bd de Provence.

J'avais toujours un petit peu la trouille car cette "vieille" dame imposante et majestueuse que je rencontrais habituellement vêtue de noir, avec un chignon impeccable, me recevait chez elle en peignoir et ça me débousselait.

Elle me faisait asseoir près de sa table et, craintif, j'attendais qu'elle mît fin à ses préparatifs : elle allumait une bougie tout en psalmodiant ses prières, s'asseyait en face de moi, enlevait une épingle des ses cheveux pas encore coiffés, ce qui entraînait leur chute et mon angoisse; elle parvenait à percer un pois chiche avec cette épingle et elle le passait sur la flamme de la bougie en ouvrant ses grands yeux ...

je crois que j'osais à peine respirer, les yeux rivés sur cette flamme et ce pois chiche qui noircissait, noircissait, rougeoyait puis s'enflammait ! ! ! envoyant ses lueurs dans les yeux immenses et figés de Mme Sultan tandis que, seules, ses lèvres remuaient. Alors, elle prenait une grande respiration et soufflait sur la flamme, l'éteignant en faisant des cercles dans l'espace, laissant le pois chiche s'éteindre de lui-même...

"Antoine, tu as le mauvais œil, beaucoup; reviens demain, mon fils"...

Elle me raccompagnait et comme elle habitait au rez-de-chaussée,je me retrouvais très rapidement au grand jour et dans la rue, un peu plus rassuré : ma mère avait raison et demain, Mme Sultan me délivrerait.... Et le lendemain matin, même rituel, mêmes gestes, mêmes prières, une autre épingle à cheveux sans doute, un nouveau pois chiche mais qui peine à s'enflammer et moi de me rasséréner.... "A demain, mon petit"....Et le 3è jour, non! je ne suis pas monté aux cieux: le pois chiche n'a jamais pu s'enflammer ! ! Mme Sultan avait vaincu mon mauvais œil. Je lui faisais un bisou et repartais tout guilleret, sachant que si mes résultats de jeune lycéen faiblissaient, c'était à cause du "mauvais oeil"...

Vrai ? Faux ? Que sont-ils devenus, mes résultats ? Si je vous le dis, vous ne le croiriez pas ....Mais ce dont je veux témoigner, c'est que Mme Sultan avait probablement un don et qu'elle l'offrait gratuitement. Ensuite, que je n'ai jamais réussi à enflammer un pois chiche ! ! !

Robert VOIRIN

RIEN QUE JE MARCHE DANS L'AVENUE

Ca yest, me revoilà plongé dans des scènes qu'elles me reviennent,

akarbi elles sont comme écrites dans d'immortelles rengaines,

elles déferlent en moi pareilles aux vagues de la Madrague

que c'est la plus belle des plages.

Non bessif, je ne serai jamais dans la " nuit noire de l'oubli "

comme dans la chanson, car j'y pense bezef à mon petit paradis.

Il est six heures du soir mainant, je sors de chez moi rue Réaumur,

puis je descends fissa les escaliers du Cassis, qu'ils sont raides ça c'est sur,

je continue rue Cardinal Verdier jusqu' là bas en bas,

et la oilà mon avenue de la Bouzaréah !

Qué calor en ce début de soirée, mais c'est impeccable pour faire un tour,

j'arrive aux Trois Horloges que y'en a qu'une qui marche comme toujours,

cette place c'est le plus beau des carrefours !

Une affiche au sol annonce un bal à Padovani avec l'orchestre Ripoll

où yen a qui se prennent pour les rois du tango ma parole,

et que le choléra i'm dévore les yeux si c'est pas vrai,

on se croirait kif kif dans la scène principale d'un tableau animé

par des tchatcheurs heureux, acteurs pleins de gaieté.

Planté devant chez Moati où les gens font la chaîne, j'observe ce monde en ballade,

autour de moi ce n'est que tchalefs et rigolades,

ici on s'arrête, on tape cinq, et devant la pharmaçie on repart de plus belle

pour se faire l'avenue plusieurs fois comme dans un rituel.

Une fois que j'ai tout bien aregardé, et vinga comment que j'me lance

à mon tour dans cette folle ambiance,

ba ba ba ! les filles bras dessus bras dessous en robe légère ont un air triomphant,

les épaules bronzées , elles ont un sourire éclatant,

d'un pas léger et rien qu'avec un peu de tcheklala, elles sillonnent le trottoir,

suivies pas des garçons qui ne veulent pas faire tchoufa, alors ils sont pleins d'espoir...

Faut être jmaous pour vouloir traverser au milieu des Vespas et Lambrettas,

Dauphines, Arondes, Fregates, Dyna Panhard, 203, et autres motos Puch et Jawa,

c'est un tintamarre sympathique, sans parler des grincements terribes du tram des T.A.

Je rêve ou quoi, on perd pas la fugure devant ce spectacle sans égal,

heureusement que je suis pas bizlouche car pour moi c'est un régal,

ça peut pas exister ailleurs un endroit si convivial !

Des cafés et des magasins qu'est ce qu'y en a pas

les chaussures Pons, le photographe Petrusa,

le marchand de journeaux Spadaro, la teinturerie Serra, l'ébéniste Pedro,

Vidal et Méléga, le chausseur Marco

l'Epi d'Or, les jouets ElBaz, la boucherie Henny,

le Select Bar, Chez Jules, le monoprix ex Trianon, les vêtements Ricry

et par la rascasse de sa race, c'est sur que j'en oublie.

Quand j'arrive devant Roma Glace, qu'est ce que je vois pas devant mes yeux !

sur un fil glissent doucement des beignets délicieux...

Mais je continue, je sens qu'il flotte dans l'air des odeurs de kemias

surtout quand j'arrive au niveau de la rue Barra,

devant le bar Alexandre ça sent bon les brochettes,

dedans on dirait que certains sont un peu chispounes... c'est la fête...

En rejoignant mes copains rue Montaigne devant le café des frères Escobedo

je passe devant Discophone où je vois affichée une photo de Dario Moreno.

On se fait un aller et retour en errière dans l'avenue parce qu'on est pas des ouellos,

puis on pousse jusqu'à la Grande Brasserie où ça se bouscule au comptoir,

mais par la mort de ses os on doit la quitter cette avenue pleine de belles d'histoires,

nous on voudrait que ça s'arrête pas, pourtant on se dit chiao

en se séparant à la rampe en fer de l'avenue Durando.

Jean Michel et moi on descend jusqu'à la Consolation et bientôt

on passe la Poire d'Or et la Princesse, la Poste, Maillot et enfin devant la Cité Picardie

chacun remonte à la maison la tête encore pleine

des images de ce Bab el Oued que l'on aime,

je n'ai que seize ans, mais si je devais le quitter un jour, j'aurai la rabia,

j'ai l'impression qu'il me manque déjà...

Robert Voirin

Michel SUCH

pour Liliane Domenech

il me semble que nous avons la même grand-mère... en plus des coups de soleil, la mienne enlevait "l'infite" et les "compalorios"... C'est à croire que nous sommes tous frères... et soeurs. La mienne, de grand-mère, chauffait de l'eau dans des pots de conserves. Elle utilisait un vieux (à l'époque, il était déjà vieux)réchaud à pétrole. Quand ça bouillait, elle jetait une poignée de sel dans le pot, elle approchait son visage de l'eau chaude, crachait dedans et marmonnait des prières. Ensuite, elle renversait le contenu des pots dans des assiettes (un peu comme on le fait avec la tortilla dé patatas) J'ai toujours pensé qu'elle était un peu sorcière cette grand-mère qui m'a élevé et que je garde toujours en pensée. D'origine maltaise, elle est née à Alger en 1895. Son nom de fille était Borg, celui de femme Tomani. Depuis 1970, elle repose à Thiais. Si un jour elle avait pensé qu'on parlerait d'elle sur le site à Christian elle m'aurait dit "t'yes fou mon fils... c'est pas pour nous. Et arrête de lire et d'écrire tu t'iuse les yeux..."

Merci chère Liliane de m'avoir donné encore une fois l'occasion de parler de ma grand-mère Angèle. "Angèle la maltaise" comme elle aimait à se nommer.

Michel

Antoine BILLOTTA

Tout le monde l'a vu ou en a entendu parler. Je veux parler du film "Bienvenue chez les ch'ti".

J'ai bien aimé mais...ayant vécu mon exil douloureusement, comme la plupart d'entre nous, je ne peux que me rendre à l'évidence :

je suis d'une autre terre, où je me rends plusieurs fois par jour, où je me sens bien, où je me ressource parce que je vous retrouve, parce que je me retrouve dans vos récits, dans nos quartiers, nos rues, nos maisons, nos escaliers, nos étages, nos odeurs, nos cris et nos écrits, nos voisins, nos copains, nos béguines, notre marché grouillant de sangs-mêlés, nos écoles, nos classes, nos mères et nos pères, nos engueulades, nos fêtes, nos disparu-e-s etc...

Alors OUI : "Bienvenue chez les ch'timoner" (= "T'es mon air")car c'est là que je le prends mon air, mon oxygène indispensable pour que mon cœur continue à battre grâce à Christian et aux souvenirs que vous toutes et tous nous offrez si généreusement.

....A la mi-août (Lucien Jeunesse), Acropolis, Adieu (Mireille Mathieu),Adieu M. le Professeur (Hugues Aufray), Bleu, blanc, bleu, Chiquitita, Fleur de Paris, Le petit cordonnier, Etoile des Neiges, deux ailes et trois plumes (Enrico Macias), Frou-Frou, Maurice Chevalier, Line Renaud, André Clavaud, Tino Rossi, Luis Mariano etc...etc..... ça vous parle tout ça, non ? Parmi toutes ces (vieilles) chansons, ... certaines d'un autre temps très lointain !!...Il y en a sûrement une qui vous rappellera un tendre souvenir, une personne qui a plus ou moins profondément marqué votre vie, un évènement du passé ou récent, ou tout simplement "revoir "nos parents, en fredonner certaines.... « une chanson douce » par exemple ...ou alors écouter tout simplement ..."c'est beau la vie"!!! A chacun son jardin secret. Allez, un peu de nostalgie ! ! !... Pour votre délectation, allez sur le site "Bienvenue chez Muse" : vous y retrouverez une série de chansons avec paroles et musique qui devraient vous être agréables ...et peut-être vous rappeler des souvenirs. Ce sera ma petite contribution à l'animation de notre site "à nous" et d'ores et déjà, je vous remercie de nous faire part de vos ressentis, comme me l'ont déjà exprimé certain-e-s après des mois, voire des années de silence...mieux quand même que celles et ceux qui se sont tus ou se taisent intentionnellement, ne s'identifiant peut-être pas à notre ferveur et à notre fierté de Babelouédien-ne-s. Mais je rends l'antenne...A vous les studios.......

Alfred LANGLOIS (Freddy)

AH ! les boules de SAPINDUS, indissociables des petits paquets de BLEU,

pour la lessive mensuelle.

Nous nous les achetions, tous les mois la veille des jours de lessive, à la droguerie Driguez (pas loin des trois Horloges.)

Ces deux "ingrédients" ajoutés à l'eau dans la lessiveuse où devait bouillir "le blanc", avaient pour but, je crois, l'un d'en raviver la blancheur (le bleu) et l'autre de le désinfecter (le sapindus).

Les petits paquets de "BLEU" se vendaient à la pièce et les boules de SAPINDUS au poids.

Se vendaient au poids, également, les boules de NAPHTALINE, pour garnir les armoires et les placards.

Que de souvenirs et surtout que D'ODEURS OUBLIEES !

Amitiés Freddy

André TRIVES

LA SYMPHONIE DES ODEURS DE MIDI A BAB EL OUED

Une partie de mon enfance j'ai habité au n° 4 de la rue Mazagran dans le quartier Rochambeau. Je suis resté un peu étranger à ce lieu car je continuais d'aller à l'école de la place Lelièvre. L'usage faisait que tous les midis, je rentrais déjeuner à la maison et le parcours entre l'école et chez moi se déroulait comme une pièce de théâtre où les scènes de la vie courante s'y répétaient à l'infini. D'ailleurs, la joie d'une enfance insouciante résultant de la douceur du temps, la vie au jour le jour sans chichis comblant les ambitions, l'aide naturelle des voisins sur laquelle on pouvait compter sans réserve, la beauté de la mer qui cristallisait sa palette de bleus chatoyants entre Padovani et le Petit Bassin, le caractère fataliste des petites gens marqués par les revers de la vie, la bonne humeur comme antidote à l'existance souvent injuste et aux vicissitudes du quotidien, et, tout là-haut sur la colline, Notre Dame d'Afrique, l'icône des croyants dressée majestueusement sur son piedestal, pour rappeler aux familles de Bab el Oued qu'envers et contre tout, la dignité nous pousse à toujours rester debout; rien, mais vraiment rien ne pouvait laisser penser à un changement des habitudes héritées de nos aïeux. Comme celui de la veille, comme celui du lendemain, mon retour se déroulait par les mêmes endroits, peut-être aussi parce qu'à l'âge de dix ans les repaires sont toujours rassurants: après la rue de Chateaudun que je dévalais en courant avec une accélération dans la pente entre Loukal le marchand de poules et le bar Costes à l'angle du marché, je redescendais la rue des Moulins, laissant derrière moi le brouhaha des ménagères qui se pressaient à l'entour de midi et des marchands de légumes qui criaient dans une ultime ardeur leur désir de liquider à meilleur pris les produits qui restaient encore sur leur étal. Je faisais une courte halte au magasin de mon père qui me confiait un filet à trous contenant un morceau de glace conséquent; alors commençait pour moi un trajet pénible avec cette charge fondante qui tétanisait mes bras à tour de rôle et ne manquait pas de rafraîchir mes jambes rougies par le froid. Je traversais en courant la circulation automobile qui montait et descendait l'avenue des Consulats, des coups de klaxons intempestifs martelaient l'empressement des conducteurs à regagner la table familiale tout comme moi. Je me ressassais les consignes de mon père quelques instants auparavant:" fais bien attention en traversant..". En passant devant L'Olympique mon regard se portait sur le panneau d'affichage qui alignait les écussons des clubs de foot annonçant les résultats et les classements des championnats nationaux et locaux. Ce grand tableau qui se présentait comme une fresque historique, faisait la joie des supporters lorsque leur favori avait gagné; une foule compacte se précipitait tous les dimanches à la sortie du cinéma vers dix neuf heures pour découvrir la performance de leur club chéri et L'Olympique soulevait de belles émotions

Après avoir humé l'arôme picotant des épices de l'épicerie de l'Etoile Blanche à hauteur de la station de taxis du boulevard de Provence, je marquais une halte devant le commissariat du 5° arrondissement et après avoir laissé une flaque d'eau sur le trottoir, je poursuivais par la place Wuillermoz déserte à cette heure là, remontais la rue Rochambeau, laissant sur ma gauche le Café de Cadix où l'heure des rencontres autour d'une kémia battait son plein: la voix émue de Salvador racontant avec nostalgie l'aventure inouie du mariage de sa fille Pierrette partie à jamais avec un américain pour les Etats Unis était couverte par celle de stentor du dénommé Babeuf s'esclaffant de la dernière histoire. Je retrouvais en stationnement La Skida, un véhicule de collection d'avant-guerre avec ses roues à rayons, un instant la rue s'embouteillait à la manoeuvre d'un camion-citerne effectuant une marche arrière en direction du garage, enfin, l'odeur sucrée de la fabrique de dragées et la cohue de l'épicerie Apicella, m'annonçaient la fin proche de mon périple où la faim me tordait l'estomac.

Je débouchais dans la rue Mazagran, laissant derrière moi les escalier menant au Marignan et l'école Rochambeau désertée, mon regard se fixait sur une vue de carte postale: le bleu de la mer brillait de mille feux dans l'encadrement sombre des immeubles qui bordaient la rue, et sur le parapet qui longeait le front de mer entre Padovani et les Bains de Chevaux, la silhouette des pêcheurs immobiles découpait l'horizon; au loin dans le sillage des paquebots qui revenaient ou partaient pour la France, les fumées noires se dissipaient comme les rêves vagabonds qui traversaient la naïveté de mon enfance. Si le trajet m'était paru long en marchant rapidement, je dois avouer que pour gravir les escaliers de mon immeuble où nous occupions le 6° et dernier étage, j'allais cette fois-ci prendre tout mon temps pour savourer un moment exceptionnel qui allait ravir mes narines: sentir les odeurs alléchantes de cuisine qui embaumaient la cage d'escalier.

Dès le rez-de-chaussée, j'étais excité par les effluves de poivrons grillés et d'aubergines frites qui me déclenchaient un torrent d'eau dans la gorge desséchée. Ce n'était qu'un mise en bouche. A l'étage au-dessus une friture de petits rougets émerveillait mon odorat et mes papilles se désolaient de n'avoir rien à se mettre sous la dent. Je ralentissais la montée et inspirais profondément pour déguster au maximum ce festival de cuisines méditerranéennes. Je me léchais les lèvres à l'idée de ce festin virtuel que j'imaginais. Au 2° étage, je n'avais aucune peine à reconnaitre la marmite qui mijotait les haricots blancs avec un concentré d'ail et de koumoun qui s'accompagnait d'une graine de semoule concoctée par Madame Amar qui prévenait les siens:" A table! je vous ai préparé un couscous-loubia". Je continuais lentement ce chemin initiatique des fumées odorantes qui abreuvaient ma langue et me donnaient le sentiment que toutes les mamans de l'immeuble s'étaient données le mot pour m'offrir à la même heure un récital de senteurs appétissantes comme une récompense pour adoucir le pénible trajet que j'accomplissais avec ce lourd et encombrant morceau de glace. Le 3° étage ne dérogeait pas à la règle: les beignets de sardine de la mémé Cozzolino enflammaient mon appétit et donnaient au menu de l'immeuble une note de réjouissance supplémentaire. Je passais d'un palier à un autre sans regret, les plaisirs étaient partout les mêmes. Le ragoût de mouton du 4° étage était un monument de saveur qui s'infiltrait dans tous les recoins, et lorsque s'ajoutaient les cocas aux blettes avec une pointe d'anchois, les cocas à la soubressade et les cocas farcies de frita justes sorties du four, les escaliers devenaient les Champs Elysées de la gastronomie. Enfin, le 5° étage était la dernière satisfaction de mes repas inaccessibles où j'attribuais le prix d'excellence à Madame Abisserour pour son couscous "magique". Ce n'était pas un "couscous comme là-bas", c'était un "couscous comme ici". J'inspirais à plein poumons les émanations qui se répandaient sur le palier et je gravissais le dernier étage en apnée pour garder le plus longtemps possible cet oxygène au parfum de délice. Arrivé chez moi, les narines perturbées par tant de saveurs, je me régalais avec les artichauts à la barigoule ou le "potaré" que me préparait ma mère et qui calmait les manifestations bruyantes de mon estomac.

Je repartais à l'école vers 13 h en dévalant les escaliers 4 à 4,les odeurs s'étaient estompées; désormais j'avais hâte de retrouver la partie de billes qui m'attendait sur la place Lelièvre jusqu'au retentissement de la cloche. Au retour de l'école vers 17 h, mes narines étaient de nouveau en éveil et mes glandes salivaires à l'épreuve; je retrouvais en grimpant les étages des odeurs différentes sucrées et caramélisées, des parfums de canelles qui habillait les gâteaux que les mamans préparaient amoureusement pour le goûter de leurs rejetons affamés. L'immeuble se transformait en pâtisserie internationale et chaque étage avait sa vitrine de gâteries achalandée suivant les jours et les périodes de fêtes religieuses; j'inspirais à pleins poumons l'air suave qui se répandait du sol au plafond et qui me faisait deviner les roulés à la confiture, les tartes au citron,les biscuits au chocolat, les figues et dattes farcies de pâte d'amande, les mantécaos, les rolliettes, les oreillettes, les endjenettes, les makrouds, les beignets sucrés, les patates douces, les cigares et les croquets aux amandes, et à Pâques, une seule odeur affirmait sa dictature dans tout Bab el Oued, c'était celle de la "mouna" que l'on venait de faire cuire dans le four du boulanger.

La cage d'escalier de mon immeuble représentait sans le savoir une sorte d'autitorium olfactif à la gloire de la gastronomie du pays qui, à la manière d'une symphonie musicale me charmait de belles sensations. Les mamans à l'instar d'une chorale interprétaient à l'unisson en un même lieu, un récital des goûts et des saveurs dédié aux plaisirs de la table pour la satisfaction des petits et des grands. Avec ces petits plats dont les recettes pleines de secrets se transmettaient de mère en fille, elles nous gratifiaient d'un beau moment d'amour en direction de toute la maisonnée.

Pierre-Emile BISBAL

Un après-midi

Le plein été de l’Algérie transforme les logements en étuve. Dans la journée, pour éviter de vivre dans un four on garde les persiennes closes et les rideaux baissés. Notre appartement baigne dans une semi obscurité. Le soir, la chaleur se transforme en moiteur moins oppressante, et devient presque supportable. Malgré ce carcan de chaleur ma grand-mère s’agite car, cet après-midi, nous recevons une amie de maman. C’est plus qu’une amie, c’est sa sœur de lait. Elles sont nées pratiquement en même temps et ma grand-mère les a nourries ensemble. Etre nourrice fut, pendant longtemps, une alternative offerte aux jeunes femmes issues du monde des pauvres pour vivre moins misérablement. L’Espagne et l’Italie fournirent leur lot à l’Algérie. Notre invité arrive avec une grande pochette surprise pour moi et des gâteaux pour tout le monde. Ma grand-mère pose sur la table un broc de citronnade. Sur un napperon, maman a disposé nos beaux grands verres. Aujourd’hui ils ont quitté le buffet. Ils ne servent qu’exceptionnellement. C’est un signe précisant l’importance de notre invitée. Au bout d’un moment, ma grand-mère s’est éclipsée dans son royaume, sa cuisine. La canicule ne stoppe pas ses activités. Dans la salle à manger, assises sur un petit canapé, les deux jeunes femmes semblent s’amuser comme au temps de leur enfance. Elles vivent pleinement cette complicité née d’une affection de toujours. Elles parlent des « événements ». C’est un mot qui s’installe dans toutes les conversations. Un mot lâche, hypocrite et traître qui dissimule une réalité toute enflée de malheurs, de sang, de désespoirs et de morts. Un mot qui traîne avec lui l’horrible comptabilité des coups portés par chaque camp et la profondeur toujours plus importante de la plongée dans le malheur. Un mot qui borne un chemin sur lequel, malgré nous, nous nous sommes engagés mais dont nous ignorons qu’il sera sans retour. Une fois épuisé ce triste registre, la vie, la vraie vie reprend le dessus car le ton redevient enjoué. Il est question d’une de leurs connaissances qui a « passé la commande ». Fidèle à mon habitude je me tiens assez loin pour me faire oublier et assez près pour ne pas perdre une miette de cette intrigante conversation entre adultes. Il me faut toute ma vigilance car la tiédeur de la pénombre me tire vers le sommeil. Le temps se fait oublier et trompe notre vigilance. Les heures glissent. Sur la table le pot de citronnade est vide.

L’amie de maman consulte son bracelet-montre. Il est déjà tard. Elle doit partir. Elle se lève et récupère ses affaires posées sur une chaise. Elle dissimule son visage derrière un masque. Un large triangle de tissus blanc orné d’une fine broderie qui descend plus bas que le menton. Avec un geste ample et précis elle s’enveloppe dans une légère toile de cotonnade blanche qui la couvre de la tête au pied. Ce mouvement répand son parfum dans la pièce. Maman ouvre la porte du palier et déclenche la minuterie. Sur le pas de la porte les trois femmes s’embrassent pour se dire au revoir. Dans la maigre lumière jaune de la cage d’escaliers Haniffa agite une dernière fois sa main, dévale les marches et disparaît comme un léger fantôme.

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